38, 19 mai 2006, Une belle histoire
C’est une belle histoire, une histoire de
course, de respect, d’amitié, de rapports humains.
A la fin d’une étape d’une course en solitaire
du Figaro, une option de navigation se présente, alors que j’étais, pas très
bien placé, en douzième position.
Au lieu de suivre mes prédécesseurs dans le
chenal principal, je choisis de tirer des bords dans un goulet étroit, parsemé
de cailloux, malgré les conditions difficiles de marée descendante et de jour
déclinant.
Ajoutez à cela que nous en étions au troisième
jour de course, et que le sommeil et la fatigue commençaient à s’accumuler.
Prenez également en compte que le GPS n’existait pas, que le pilote automatique
était un conservateur d’allure de l’époque, loin des performances de nos
appareils maintenant perfectionnés…
Je tirais mes bords avec la carte de détail
bien calée dans le fond du cockpit, une main pour la barre, l’autre sur
l’écoute de génois, une troisième occupée à assurer la bastaque, la quatrième
pour la grand’voile, la cinquième tenant fermement le mini compas de
relèvement… Vive Shiva ! Les yeux, un peu rougis par la veille prolongée,
le sel et la lumière, étaient fixés sur les réglages pour aller vite, sur la
surface de l’eau pour déceler les moindres frisottis annonciateurs de remontée
des fonds, sur les alignements de sécurité que je me fixais, et que je me
permettais parfois de dépasser.
Un
concurrent m’a suivi, et a mis son sillage
exactement dans le mien, quelques longueurs derrière. Un autre
l’a imité, s’est
écarté de quelques mètres du passage, et,
après avoir talonné durement, a pompé
jusqu’à l’arrivée pour étancher la
voie d’eau qu’il avait provoquée, et à perdu
plus d’une heure.
Avec mon poursuivant immédiat toujours bien
calé dans ma roue, nous sommes sortis de cette position délicate, et avons
constaté avec une certaine satisfaction que nous étions respectivement remontés
aux 4° et 5° places, et que nous naviguions en route directe vers l’arrivée,
distante de quelques milles.
Dans ces conditions de mer plate de vent léger
et de près bon plein, je savais que mon adversaire disposait d’un léger
avantage sur moi, et qu’il avait toutes chances de me dépasser. C’est alors que
je l’entendis m’appeler, et qu’il me dit simplement : « Laurent, tu
nous as fait gagner 8 places, fait ta route tranquillement, je resterai
derrière… ». Ce qu’il fit.
Il y aurait tant à dire qu’il n’y a pas de commentaire.