42, 15 juin 2006, Bonnes manières
Les croisières nous amènent à
partager notre espace vital avec d’autres navigateurs, tous embarqués avec la
même passion dans la même galère.
En mer, il existe un respect mutuel entre les
équipages. Ce respect, depuis la nuit des temps, se manifeste par le salut,
maintenant le plus souvent informel, un signe de la main, un simple regard, qui
montrent que nul n’est ici étranger à l’existence de l’autre. Ce salut peut
prendre la forme d’un véritable cérémonial, avec amené et envoi du pavillon
national, trois fois s’il vous plait, et réponse du navire salué. Un ex-pilotin
me racontait que, chargé de cette manœuvre sur un petit caboteur, il saluait
ainsi chaque navire croisé, mettant parfois les plus imposants dans l’embarras,
et les obligeant à trouver rapidement un matelot pour répondre dans les formes,
à la plus grande joie de l’équipage du chenapan. Rares sont les navires de
plaisance qui arborent encore correctement le pavillon national, celui du
propriétaire, le guidon du club, le pavillon de courtoisie lorsqu’il est
nécessaire. Pire, on voit parfois des plaisanciers ficeler grossièrement une
sorte de torchon aux vagues couleurs du pays visité, alors que la poupe reste
désespérément vide de toute marque nationale…
Le salut est aussi un élément de
sécurité : il incite à observer la mer, à effectuer une veille réelle, à
s’assurer de la présence des autres navires, et, de fait, à constater leur
bonne marche ou leur éventuel besoin d’assistance.
Au port, le voisinage et l’usage d’un espace et
d’équipements communs imposent quelques règles évidentes de cohabitation :
ne pas frapper son amarre par-dessus celle du prédécesseur, se mettre à couple délicatement,
en douceur, après en avoir demandé l’autorisation, autoriser le nouveau venu à
venir s’amarrer, et l’aider dans sa manœuvre, sans toutefois en prendre
d’autorité la direction… Le passage sur le pont d’un bateau se fera sur l’avant
du grand mat, ne serait-ce que pour faire preuve de discrétion, et il sera bien
de ne pas faire griller des sardines au vent de son voisin. Ou alors, invitez
le au dîner…
Nous savons que la mer est un révélateur des
capacités humaines, en équipage, et qu’elle exacerbe les tensions et aussi les
liens qui peuvent se créer entre les hommes.
Elle met en valeur les comportements vis à vis
d’autrui, ce que nos grand’mères n’auraient pas manqué de noter dans leurs
manuels des bonnes manières, qui auraient alors été agrémentés d’un chapitre
spécial : l’étiquette navale.