Chroniques

en

liberté

 

 

 

 

 

Laurent CORDELLE

2 septembre 2005 / 29 juin 2006

 

 

01, 2 septembre 2005, Grand Pavois

 

Ils s’appelaient Fernand Hervé, Roger Mallard, Michel Dufour et Henri Amel.

Passionnés par la mer, les bateaux et la construction navale, ces quatre mousquetaires étaient les pionniers de la plaisance d’aujourd’hui.

Leurs chantiers sont nés au cœur même de La Rochelle, sur la cale des chantiers, maintenant parking Saint Jean d’Acre.

En 1973, ils ont inventé le Grand Pavois de La Rochelle, et ont réuni 34 exposants.

Le bébé a grandi…

Plus de 600 professionnels de la plaisance sont cette année au rendez-vous.

Le dernier des quatre inventeurs de cette formidable manifestation, Henri, nous a quitté au printemps dernier. Le tout nouveau bateau de son chantier, en hommage à son créateur, porte son nom : « AMEL 54 ».

Je trouverai bien un peu de temps, dans l’après midi du mercredi 7 septembre, pour profiter de l’invitation de la Communauté d’Agglomérations de La Rochelle, qui offre une entrée à ses administrés. Il me suffit de passer la retirer à la mairie dont je dépends.

Je visiterai les allées des stands à terre pour admirer le dernier cri des équipements maintenant indispensables.

Je déambulerai sur les pontons encombrés, et je ne rechignerai pas à attendre un peu mon tour pour visiter le bateau de mes rêves.

Je croiserai peut-être Maud Fontenoy, la Marraine de cette édition, qui a traversé le Pacifique à la force des bras.

Je flânerai dans le Village bois, et j’y regarderai travailler les artisans et charpentiers de marine.

Je m’arrêterai chez les amis de la Guadeloupe, dont la tente est emplie de parfums et de sons évocateurs.

Et si je suis pris ce jour là, eh bien, je sais que le Grand Pavois sera ouvert du 7 au 12 septembre, de 10 h à 19 h.

Mais, dans mon carnet, j’ai noté une priorité absolue :

Le soir du samedi 10 septembre, j’irai à pied sur les rives du chenal de La Rochelle, entre la Médiathèque et la station météo du Bout Blanc, et j’admirerai le fabuleux spectacle de Voiles de Nuits, avec l’évocation de l’histoire maritime, les bateaux anciens, la pyrotechnie, le son qui prend aux tripes…

Et j’aurai une petite pensée pour ceux qui, il y a maintenant 32 ans, ont osé imaginer que les salons n’étaient pas réservés à notre seule capitale.

 

 

02, 9 septembre 2005, Village bois

 

Dans le Grand Pavois de La Rochelle, du côté de la plage des Minimes, juste après la batterie Richelieu, deux énormes billes, l’une d’acajou, l’autre de sipo, attirent mon attention. Débitées en plateaux de plusieurs centimètres d’épaisseur, elles matérialisent l’entrée de l’espace réservé au Village Bois, que Jean Marie Chauvet a imaginé et créé dès 1989.

 

En regardant du haut du quai, j’admire cinq des bateaux qui vont demain participer à Voiles de Nuit. Le plus ancien, « ARGO », date de 1909, et Jean Marie m’a déclaré qu’il a « un cul de poule magnifique ». Quelques-uns des animateurs de ces véritables monuments historiques sont là, prêts à répondre à mes questions et à me faire partager leur passion. J’y passerais des heures…

 

« Bois » a très longtemps été synonyme de vieille marine, de bateaux anciens, de bout’s en chanvre et de voiles en coton d’Egypte, de bordés plus ou moins étanches, de senteurs d’étoupe, de brai et de goudron, de sons de marteaux à calfater, de coups d’herminette, de chants de marins.

Cette marine était également associée à une certaine difficulté de navigation, et entretenait quelque peu son inaccessibilité.

 

Le village bois présente aujourd’hui ce que l’on peut réaliser dans des techniques avancées et éprouvées, grâce à une mise en œuvre moderne alliée à une matière première antédiluvienne. Ce qui était hier de l’artisanat est maintenant mieux rationalisé, mais comme le bois ne se laisse pas torturer, le résultat est nécessairement harmonieux.

 

Les 20 chantiers ici présents exposent des bateaux qui restent à taille humaine, qui ont leur personnalité, auxquels il faudra un peu s’attacher pour en tirer parti… Ce sont des bateaux qui ne laissent pas indifférents, réalisés par des artisans qui aiment leur métier, utilisés par de véritables amateurs, au vrai sens du terme.

Et ce n’est pas par hasard qu’un stand est tenu par les compagnons du devoir. Ces perfectionnistes ont bien compris toute la richesse de la marine en bois, et savent la combiner avec les technologies les plus avancées.

 

En visitant le village bois, paradoxalement, je suis convaincu d’avoir fait un tour dans le futur.

 

03, 16 septembre 2005, Transat 650

 

Depuis quelques semaines, une véritable escadrille de petits bateaux, tous semblables, s’est constituée dans le bassin des chalutiers.

Tels les hirondelles qui se rassemblent sur nos fils avant leur migration vers le Sud, ils se sont réunis ici pour préparer leur départ, et ils s’envoleront demain 17 septembre, à 17 heures 17 exactement, pour la « Transat 6.50 Charente Maritime / BAHIA »

Cette course, qui en est à sa 15° édition, réunit 72 concurrents.

En solitaire sur des bateaux monocoques de 6 m 50 de longueur maximum, ils vont relier La Rochelle à Salvador de Bahia, au Brésil, en faisant escale à Lanzarote, aux Canaries.

Un périple de plus de plus de 4.000 Milles marins, soit près de 8.000 km, à l’issue duquel ils profiteront du soleil de l’hémisphère sud.

Même si les bateaux sont très comparables, ils sont divisés en deux grandes catégories : Les monotypes, qui permettent de participer à cette belle épreuve avec un bateau quasiment de série et un budget raisonnable, et les prototypes, pour lesquels les plus brillantes innovations sont permises, dans le respect d’une réglementation qui dresse quelques gardes fous, afin d’éviter une inflation diabolique des coûts.

Tous doivent satisfaire à des règles d’équipement et d’armement de sécurité très strictes.

Et comme on ne remplacera jamais la compétence humaine par du matériel, chaque concurrent doit avoir réalisé avec son bateau un parcours de qualification de 2000 milles, en solitaire, et avoir suivi un stage de survie spécifique.

Ces marins ont l’envie de naviguer, ça se voit, ça se ressent, ça se comprend à leur attitude, à l’envie qu’ils ont montrée de nous faire partager leur passion, tout au long des journées de préparation qu’ils ont passées au Bassin des chalutiers.

Alors, demain, je leur dirai un petit au revoir depuis le pont du Gabut, qu’ils passeront à partir de 15 h, j’irai sur la côte, après les Minimes, devant la Maison de la Charente Maritime pour assister au départ, à moins que je n’aie la chance de trouver un bateau pour les accompagner et les suivre un moment sur l’eau.

Bonne chance, les hirondelles !!

 

 

 

 

04, 23 septembre 2005, Pollution

 

La semaine dernière, vous avez admiré les bateaux de la Transat 650.

Ils sont maintenant au milieu de la grande mare, en route vers les Canaries et le Brésil, et ils vivent leur vie de traverseur d’océan. Mais comme nous tous, ils restent confrontés à un problème crucial de notre société : la collecte des ordures ménagères.

Si, en haute mer, il est possible de rejeter ce qui est rapidement biodégradable, tous les marins dignes de ce nom ont maintenant à cœur de rapporter à terre les autres résidus, afin qu’ils soient traités en fonction de leur nature.

Alors, dans leur préparation, nos coureurs de vagues ont éliminé le plus possible les emballages inutiles, ils ont choisi des conditionnements pratiques et adaptés, et ils ont quelques sacs poubelle, qu’ils débarqueront à la prochaine escale.

Cette prise de conscience de notre responsabilité dans ce domaine est récente, et il n’était malheureusement pas rare, il y a seulement quelques années, que la mer soit considérée comme une décharge, y compris par ceux-là même qui en étaient les plus proches.

Une conscience collective s’est enfin réveillée, quelques voix se sont élevées, parmi lesquelles, celle de David Beaulieu qui, avec l’association Ecomer et l’appui des ports de plaisance, fait en Charente maritime et sur nos cotes la chasse aux sacs et emballages plastique, aux piles usagées, aux eaux souillées des fonds de cales...

Plusieurs coureurs ont adopté cette juste cause, et certains en sont même maintenant les ambassadeurs. Tous ont à cœur d’adopter une attitude responsable, afin de tenter de protéger notre milieu et notre futur.

De notre coté, nous pouvons également facilement utiliser les nombreux services que le port de plaisance met gratuitement à notre disposition, afin que notre avenir ne soit pas empli de mazout, d’huile de vidange, de mercure ou de bouts de plastique..,

 

Alors, pour que la mer nous réserve encore ce qu’elle a de meilleur, à nous de jouer.

 

 

 

 

 

 

05, 30 septembre 2005, Conrad Cook & sails

 

Deux constats s’imposent :

Le premier, c’est que la mer a toujours été un incontournable vecteur de communication, d’échanges, de progrès.

Les civilisations se sont développées à partir des côtes, les grandes découvertes ont été menées en bateau, par des explorateurs qui étaient des marins.

La marine nationale est, sur toutes les mers du monde, l’un de nos meilleurs ambassadeurs.

Le second, c’est que la table, lieu de plaisir et d’expériences en tous genres, constitue, elle aussi, un espace privilégié de convivialité et d’échanges.

Quoi de plus naturel, dans ces conditions, que d’allier la table et la mer, la cuisine et la régate, pour une confrontation au sommet, un combat des chefs, que ceux ci soient grands ou petits, amateurs éclairés ou professionnels étoilés.

La Conrad Hotels Cook and Sail Cup reprend un concept imaginé par nos amis italiens, et se déroulera demain à La Rochelle, les concurrents devant réaliser un plat et un dessert, à bord de leur bateau, au cours d’une régate courue dans les pertuis.

Les plats, qui seront débarqués à partir de 15 h à la capitainerie du bassin à flot, devant l’aquarium, seront jugés par de grands chefs, dont Philippe Etchebest, de Saint Emilion.

Le vainqueur aura su tirer les meilleurs bords, et aura également dû ménager un peu le confort de son chef et de ses marmitons, qui, lors des éditions passées, nous ont étonnés par leur créativité et par les réalisations faites dans des conditions parfois spartiates.

Tous les participants, en tous cas, auront eu l’occasion de se rencontrer, d’échanger des savoir-faire, que ce soit dans l’art de tirer sur les écoutes ou dans celui d’élaborer un plat et de dresser une assiette.

La complicité de la table et de la mer, c’est une évidence, c’est demain à La Rochelle, et je crois qu’en me dépêchant, je pourrais encore m’inscrire auprès de la Société des Régates Rochelaises

 

 

 

 

 

 

06, 7 octobre 2005, Eclipse

 

C’était beau, lundi dernier. Une éclipse annulaire, pas complète, d’accord ! Mais, avec le soleil d’été qui chauffait bien dans cette matinée, la différence de température était parfaitement perceptible, la luminosité étrange montrait un quelque chose de pas normal, et, quand on avait pris la précaution de se munir des verres protecteurs adéquats, le spectacle était superbe.

Il nous faudra maintenant attendre 54 ans…

54 ans pour observer encore, ici, dans les pertuis, une éclipse de soleil.

Mais celle là sera totale.

Nous sommes, navigateurs, privilégiés et particulièrement sensibles à ce qui se passe dans le ciel. Peut-être parce que nous avons un peu plus de temps, que nous pouvons prendre quelques instants pour regarder autour de nous, pour admirer le spectacle toujours nouveau que nous joue dame nature.

Peut-être parce que, un peu protégés des miasmes de notre civilisation, nous pouvons voir et regarder les étoiles interdites aux parisiens, et même aux citadins, tant la pollution les éloigne d’eux, tant la lumière omniprésente les cache à leurs yeux.

Et même sans naviguer, une simple balade sur la côte nous permet de profiter pleinement du jeu des étoiles et des planètes, d’observer ce qui autrefois effrayait nos ancêtres, de jouir d’un véritable rayon vert, d’apprendre à l’attendre, à reconnaître sa venue, à en annoncer l’apparition.

Les moyens de positionnement modernes permettent de situer le bateau sans quitter le confort douillet de la table à cartes. Autant naviguer dans son salon…

Sans vouloir contester l’utilité des positionneurs, des satellites, des programmes sophistiqués, restons éveillés au contact direct, à l’observation des éléments réels.

C’est ce réel là qui nous fera le mieux rêver, qui nous permettra de prolonger à l’infini nos navigations, mieux que tous les programmes virtuels alambiqués de notre civilisation dite moderne.

 

 

 

 

 

07, 14 octobre 2005, Superstitions

 

Chacun le sait, il ne faut pas être superstitieux, ça porte malheur…

Mais en mer, les idées ont la vie dure, on sait qu’il est préférable d’éviter certaines attitudes et qu’il convient de respecter quelques us et coutumes.

Certains ont une simple origine pragmatique : à moins d’être Cap-Hornier, on ne pisse pas au vent !  ça évite certains accidents…, et même les Cap-Horniers ne s’aventurent pas à de telles expériences…

Emporter des oeufs durs à bord, c’est signe de grand malheur, car la Bigouden qui préparait le frichti pour son mari de marin pêcheur, lorsqu’elle en était très amoureuse, elle lui concoctait de bons petits plats, pour sa gamelle de la journée… Mais, si d’aventure elle éprouvait un peu moins d’intérêt pour son époux, un peu trop pour le guilledou, elle n’avait plus le temps, elle lui flanquait deux œufs durs « et ça ira bien comme ça !!! ». Alors, le pauvre marin breton devait commencer à se poser des questions…

Le louis d’or sous un mat n’a jamais, techniquement, aidé à en régler le haubanage, mais on dit que, si la coutume n’était pas respectée, le mat était en grand danger.

Siffler pour faire venir le vent, c’est peut-être efficace, mais ça sert surtout à passer le temps, à moins que ça n’agace les oreilles des autres…

Une présence féminine à bord était souvent considérée comme périlleuse, mais n’est-ce pas le reflet d’une époque révolue ?

Le fameux animal aux longues oreilles, le cousin du lièvre, dont on fait d’excellents pâtés, alimente, sans doute, les croyances les plus tenaces. Peut-être parce qu’un jour, les vivres étant épuisés, le cuisinier du bateau avait subtilisé le chat du bord et l’avait servi au repas, le faisant passer pour un civet ? Les rats n’étant plus chassés, la cargaison avait été perdue, les cordages rongés, le bateau démâté…

 

Mais alors, pourquoi tous les enfants des navigateurs d’aujourd’hui se promènent-ils tranquillement sur les pontons et sur les bateaux avec leurs doudous aux longues oreilles ?

 

 

 

 

08, 21 octobre 2005, Sommeil et récupération

 

Les solitaires de la transat 6.50 Charente Maritime Bahia sont partis le 17 septembre de nos pertuis, pour s’en aller quérir soleil et gloire en traversant l’océan.

Après l’escale aux Canaries, d’où ils ont repris la mer le 8 octobre, ils sont aujourd’hui à environ 1000 Milles de l’arrivée, soit un peu moins de 5 jours.

Mais comment diable font-ils, ces navigateurs, pour se débrouiller tout seul sur leur bateau, pour manœuvrer, naviguer, régler, manger, récupérer, résister…, et ce pendant plusieurs semaines, en continu ?

« Comment font-ils pour ne pas dormir ? » est la question la plus fréquente.

Justement, ce n’est pas la bonne question. Il faut plutôt se demander « comment font-ils pour dormir ? » Car c’est bien là le vrai problème, arriver à profiter de la plus petite occasion pour se reposer, s’économiser, s’assoupir en sursaut, exploiter quelques brefs instants de conditions favorables, pendant lesquelles le pilote automatique barrera le bateau comme un grand, et permettra à son skipper de jeter un œil sur la nav’, de faire la manœuvre idéale, de se relaxer, de se réchauffer, de se nourrir, de se changer, d’essayer de se mettre, pour quelques instants, hors de la course, du bateau, des vagues, du vent, du bruit, des mouvements…

Cette capacité à se reposer vite s’éduque et se cultive, elle est le fruit d’une bonne connaissance de soi, d’une excellente forme physique, d’une diététique rigoureuse.

Et puis chacun a ses petits trucs, ses astuces de vieux briscard. L’un déterminera, en entraînement, ses rythmes propres, et tentera de se reposer dans les périodes qu’il a reconnues comme les plus efficaces. Un autre profitera de la moindre opportunité, et, attentif même dans son sommeil aux changements de mouvement du bateau, il saura se réveiller immédiatement à la moindre alerte. Certains, dans des conditions favorables, lorsque le temps le permet, parviendront à dormir presque une heure et demie, soit un cycle complet, faisant confiance à la sonnerie d’un réveil puissant pour les tirer des bras de Morphée.

Mais c’est sûr, les premiers auront peu dormi. « Que le veilleur gagne » !

 

 

 

 

 

09, 28 octobre 2005, Les communications

 

Allô Saint Lys ?

ça ressemblait un peu, quelquefois, au « Papa Tango Charly » de Mort Schumann…

C’était la BLU, bande latérale unique, qui permettait de correspondre, avec des moyens limités, en quelque endroit de la planète que l’on se trouve, par le biais d’une station à terre, qui, pour la France, était Saint Lys Radio, prés de Toulouse. Et il y avait une réelle complicité entre l’opérateur, tranquillement installé derrière son pupitre, et le radio du bord qui, dans des conditions parfois difficiles, arrivait à transmettre sa position, donnait des nouvelles aux terriens, préparait et organisait les travaux d’une prochaine escale…

Il fallait choisir la meilleure bande de fréquence, en fonction de l’heure et de la position géographique, on devait attendre son tour… « Vous êtes numéro quatre », et, bien obligé de laisser en veille et de rester à l’écoute pour ne pas rater son tour, on entendait forcément la commande d’avitaillement d’un super tanker, qui n’oubliait pas, pour la cuisine du pacha, les alcools et les cigares, on apprenait, à notre corps défendant, les frasques d’un matelot ou d’un patron de pêche, on participait et on applaudissait aux derniers exploits du petit dernier d’une sympathique famille qu’on ne connaissait pourtant pas… Bref, on participait à la vie de tout ce monde qui partageait le même univers, celui des radiotéléphonistes.

Sur une fin de traversée de l’Atlantique, je ne parvenais pas à joindre Radio Martinique. Finalement, je ne sais plus par quel miracle, j’arrivais à avoir l’opérateur en ligne. « Ah Coulirou, on vous attendait, mais vous savez, ils ne vous ont pas donné les bonnes fréquences, en métropole… Attendez, j’oriente mes antennes ». Lui aussi, il faisait partie de la famille, il connaissait ses clients, il voyageait à travers eux…

Et puis, avec la BLU, il était nécessaire de parler chacun son tour, de relâcher la pédale du micro pour écouter l’autre. Cela laissait le temps de penser un peu à ce que l’on voulait dire, le temps de réfléchir à ce que l’autre avait voulu exprimer. C’était un peu comme écrire une lettre et attendre la réponse.

Allô Papa Tango Charly

 

 

 

 

 

10, 4 novembre 2005, Changement d’heure

 

Dimanche dernier, après moulte discussions avec votre entourage, vérification auprès des spécialistes patentés que sont le grand-père retraité des chemins de fer, ou le sportif qui ne manquerait pour rien au monde la retransmission de son émission préférée, vous avez pu, conscience apaisée, retarder toutes vos montres pendules et horloges d’une heure, vous avez dormi un peu plus longtemps, et vous vous êtes dit « Ah, j’ai gagné une heure… ».

Une heure que vous aurez beaucoup de mal à restituer dans quelques mois, au printemps, lors de l’opération inverse maintenant habituelle.

Une fois de plus, les médias, les pédopsychiatres, les mères de familles, les professeurs des écoles, les éleveurs… discuteront à qui mieux-mieux de l’opportunité de ce changement qui, comme chacun le sait, fait cailler le lait, perturbe le chant du coq et empêche nos chères têtes blondes d’apprendre correctement leurs leçons…

Le navigateur, lui, a de la chance : Son heure ne change pas, il est en temps Zoulou. C’est l’heure universelle, UTC, l’heure GMT, ou Greenwich Mean Time. C’est LA référence, comme l’était le mètre étalon en platine iridié déposé au pavillon de Breteuil, à Sèvres.

Cette référence est internationale depuis le vingtième siècle, même si Paris et Londres se sont quelque peu chamaillées pour placer leur méridien personnel…, même s’il a fallu corriger les quelques secondes de différences dues aux irrégularités de la rotation de notre globe.

Il est midi, heure GMT, lorsque le soleil est au zénith de ce fameux méridien de Greenwich, et ce quelle que soit la saison ou l’âge du capitaine.

Et même si cette heure ne représente pas le même moment de la journée suivant que l’on se trouve à La Rochelle, Hong Kong ou Mexico, elle permet de disposer d’une référence absolue, stable, plus indiscutable que la date exacte de l’origine de notre ère.

A bord, il existe trois indications possibles du temps : l’heure locale, l’heure du port d’attache, et l’heure GMT. Si les deux premières sont fonction d’une foultitude de paramètres, la dernière est et reste la même pour tous les bateaux du monde.

Cette pérennité va bien au marin, qui sait adapter son rythme de vie aux éléments qu’il tente d’apprivoiser, et qui a bien compris qu’en aucun cas il n’arrivera à modifier le cours des astres.

 

 

11, 11 novembre 2005, Arts Sauts

 

Ils ont amarré leur grand vaisseau blanc tout rond à l’emplacement même du Grand Pavois. Grande voile gonflée et tendue, bien ancrée sur ses boudins emplis de tonnes d’eau, la bulle des Arts Sauts abrite ici, pour quelques semaines, une structure et un spectacle extraordinaires. Mais ce qui est le plus intéressant pour nous, par rapport à nos propres montages d’équipages, nos problèmes de réglages, de matériel, d’entretien…, c’est la similitude de traitement des différents éléments qui composent ici un bateau et un équipage, là une compagnie de spectacle itinérante et un collectif d’artistes…

Aux Arts Sauts, chacun, qu’il soit spécialiste de la voltige, du porté, de la musique, de la lumière…, peut aussi remplir, au pied levé, les fonctions de plusieurs de ses co-équipiers. Il sait ce que l’autre fait, ce que chacun attend de lui, ce qu’il doit donner et ce qu’il peut recevoir. Tous participent au montage de ce bel outil, tous en ont été les concepteurs, en réalisent les modifications et les améliorations. Tous ont dans la tête l’ensemble de la chorégraphie qu’ils ont inventée, et ils en imaginent en permanence les développements, dans une recherche ininterrompue du petit plus qui pourtant ne les satisfera encore pas.

Le montage de la structure, ensemble de tubes métalliques, de câbles et de bout’s, de ridoirs et de filets, d’espars et d’agrès, requiert l’attention de toute l’équipe, qui aura confiance dans son bâtiment, qui en connaîtra toutes les finesses, et qui pourra l’exploiter sans arrière pensée, inventant continuellement, pour son plaisir et pour le nôtre, d’impossibles arabesques.

J’ai trouvé quelques similitudes entre cette équipe soudée et aguerrie, passionnée et ouverte, en quête de perfection et de communication, prête à partir au bout du monde, et un équipage sur l’embarquement. J’ai trouvé quelques similitudes entre l’aventure des Arts Sauts et le montage d’une campagne de navigation, que celle ci soit en course ou en croisière, simplement parce que, une fois le bateau parti, son équipage doit pouvoir affronter toutes les conditions en autonomie, ce qu’il fera d’autant mieux que la préparation aura été peaufinée.

L’un des jours de relâche, je leur ferai découvrir la mer. Je sais déjà qu’ils m’en apprendront des aspects que j’ignorais.

 

 

 

 

 

12, 18 novembre 2005, Transports routiers

 

Maman les p’tits bateaux, vous connaissez la chanson… Eh bien, à défaut de jambes, nos bateaux de Vendée Poitou Charentes empruntent à la fin novembre des roulettes, et vont au grand rassemblement de la Porte de Versailles, à Paris sur mer.

Une noria de véhicules, comme tous les ans, transporte les derniers modèles terminés dans le plus grand secret, ambassadeurs des espoirs de toute une profession.

Les autorisations doivent être obtenues en temps et en heure, les convois n’ont rien à envier à ceux de l’airbus A 380, les motards ouvrent la route ; la voiture pilote, plusieurs kilomètres à l’avance, démonte les panneaux, sécurise des fils, vérifie que la configuration du terrain est bien telle que prévue, et que le camion pourra passer sans perdre de temps, et surtout sans risque pour son précieux chargement.

Les bateaux sont maintenant transportés sous cocon, ce qui leur permet d’arriver presque propres à Paris. Et bien malin celui qui pourra en détailler les formes exactes avant qu’elles ne soient dévoilées au public lors de la grand-messe du nautisme.

Un accident serait catastrophique, surtout pour un nouveau modèle, et j’ai souvenir de ce camion de graviers qui avait heurté et endommagé un Dynamique 52 à un feu rouge de l’avenue de Gramont, à Tours, et qui lui avait fait une estafilade de plus de quatre mètres dans son beau bordé tout neuf. Le bateau avait été exposé avec un grand calicot qui masquait la misère. Et les assureurs et experts s’en étaient donné à cœur joie sur ce sinistre de la navigation routière…

Pour peu que les intempéries s’en mêlent, la transhumance vers la Capitale peut rapidement devenir un cauchemar, et les grèves de toutes origines ont parfois donné du fil à retordre aux sorciers de la logistique.

Mais le plus beau est sans doute le véritable gin-cana que doivent réaliser certains convois à l’arrivée dans Paris. Le spectacle de nuit est assuré, et l’on y retrouve souvent, au sortir d’un dîner boulevard Montparnasse, des Rochelais de passage en train de commenter les manœuvres précises et expertes des chauffeurs pour passer les derniers obstacles. C’est un peu leur patrimoine qui vient ici s’exposer, et ils en sont souvent légitimement assez fiers.

 

 

 

 

 

13, 25 novembre 2005, Escoff

 

Vous avez entendu les résultats de la transat Jacques Vabre ?

Et les commentaires des médias, tout au long de la course ?

On se serait cru, une nouvelle fois, dans la configuration de la Route du Rhum 2002, celle au cours de laquelle une majorité de multicoques de 60 pieds ont eu quelques problèmes de démâtage, de casse, de chavirage… A tel point que, dans un cas comme dans l’autre, l’auditeur pouvait légitimement se demander, après seulement quelques jours de course, s’il allait rester au moins un bateau pour arriver à bon port… Pour les commentateurs, seuls existaient alors cette unique catégorie de bateaux, ceux qui font parler, qui ont d’importants budgets de communication, qui défrayent la chronique par leurs avatars…

Et pourtant, pendant ce temps là, les autres concurrents engagés continuaient à exister, faisaient le gros dos, et géraient en marins des conditions difficiles.

La famille Escoffier, Franck Yves le père, Kevin le fils, a remis avec son trimaran de la classe 2 les choses à leur place.

Franck Yves, qui a déjà gagné deux fois la route du Rhum, mène sa barque avec le sérieux dont il a toujours fait preuve. Avec sagesse, il a un peu levé le pied dans les moments difficiles, la première semaine, pour pouvoir donner la pleine mesure de son bateau dès que les conditions l’y ont autorisé.

Et Kevin, tout juste 25 ans, a eu le mot juste devant cette première grande victoire pour lui : « Nous avons gagné dans notre classe, mais chaque catégorie aura son vainqueur ». Humilité des grands…

N’en déplaise aux commentateurs, attentifs dans un premier temps aux seuls faits et gestes spectaculaires, il n’y a en effet pas de « Catégorie Reine » dans cette épreuve. Surtout quand ladite catégorie produit des bateaux dont seuls 40% sont capables de remplir leur contrat sans risquer à tout moment de solliciter des moyens de sauvetage extérieurs.

La leçon doit être méditée par tous, et il ne faut pas faire n’importe quoi avec la mer et les bateaux, sous peine d’y perdre, à terme, notre liberté de jugement, les autorités de tous poils ayant alors toutes les raisons, puisqu’on les met à contribution, de légiférer sur notre terrain de jeu.

 

 

 

 

 

14, 2 décembre 2005, Port vide

 

Vous avez vu le havre d’échouage, depuis quelques jours  ?

Vide et net, il laisse ses quais, ses murailles et ses tours exprimer toute leur magie, au gré des marées.

La dernière fois qu’il avait été ainsi dépossédé de ses locataires, c’était en 2000. Tous les 5 ou 6 ans, le Port de Plaisance organise le grand chambardement des résidents, les déplace et les amarre provisoirement aux Minimes, ou dans le bassin intérieur ou encore dans celui des Grands Yachts, afin de pouvoir draguer la vase qui s’accumule, assurer la maintenance des pontons ou leur remplacement.

Seul le bus de mer et le passeur ont encore, pour quelques semaines, leur appontement, mais il leur faudra, en janvier prochain, trouver un emplacement provisoire pour permettre la fin des travaux.

En mars, trois beaux pontons tout neufs seront installés, pour remplacer ceux, un peu fatigués, qui sont les plus près de la Grand’ Rive et qui attendent une retraite bien méritée Les autres équipements, en stage aux Minimes, sont en cours de rénovation dans les ateliers de la régie. Ils seront remplacés la prochaine fois…

Cette opération nous fait revoir et imaginer notre port tel qu’il se présentait il y a seulement un demi-siècle, lorsque les bateaux se mettaient directement à quai pour décharger le poisson, à la marée, et que les gamins utilisaient ce plan d’eau citadin et vivant comme terrain de jeu dans des joutes de godille, d’aviron, ou pour de simples escarmouches bien innocentes entre bandes rivales. Les cartes postales, pas si anciennes, les tableaux de Gaston Ballande et de Georges Suire ont immortalisé le port dans cette configuration. Avec un peu d’imagination, il suffirait de replacer les bateaux tels qu’ils y étaient amarrés, à couple dans un joyeux capharnaüm, et le tour serait joué.

Et si les bateaux anciens de la flottille des Pertuis en profitaient pour, avant la fin des travaux, investir ce lieu magique et reconstituer, pour quelques jours et pour notre bonheur, le décor qui a été celui de La Rochelle pendant des siècles ?

Une évocation quinquennale d’un site préservé comme celui là, dans son jus, ça vaut bien quelques efforts et quelques concessions au coté pratique des aménagements modernes…

 

 

 

 

 

 

15, 9 décembre 2005, Salon de Paris

 

Ils y vont tous, ou presque…

Au salon nautique de la porte de Versailles, à Paris, les cirés sont de sortie, et permettent de distinguer le visiteur qui veut montrer qu’il est bien de la famille des navigateurs, des vrais, de celui qui, blasé, arpente les allées de son quarantedouxième salon, après avoir également participé à ceux de Londres, d’Amsterdam, de Gènes, de Düsseldorf, et, pourquoi pas, d’Annapolis ou de Sydney…

Le visiteur terrien, qui voudrait tant être marin, transpire au bout d’une demi-heure dans sa veste de quart toute neuve, mais il a heureusement adopté des chaussures faciles à enlever et à remettre, au cas où il parviendrait, après une patiente attente, à visiter LE bateau de ses rêves.

L’habitué, lui, possède ses repères, le stand ami où il laissera un parapluie ou un imper, où il apportera un sandwich et prendra un verre, où, suprême reconnaissance, des amis de passage pourront même lui laisser un message… Il sera alors passé du statut de visiteur lambda à celui d’acteur, d’homme du sérail.

Il aura aussi ses repères, souvent des points de ravitaillement, comme le jambon à l’os du bout du hall 2, le banc d’huîtres, ou le fameux stand de foie gras et de vins du Sud Ouest. Il pestera parfois de ne pas retrouver exactement la même implantation que l’an dernier, et trouvera que, finalement, ce salon ou un autre, c’est du pareil au même…

Mais il ne manquera pas de s’attarder et d’admirer la magnifique expo de photos « Antartica », qui crée des embouteillages bien compréhensibles sur la passerelle.

Le salon de Paris, c’est le rendez-vous auquel il faut être présent, même si ce que l’on y trouve n’est pas toujours nouveau, qu’on l’a déjà vu au Grand Pavois, et que les distributeurs locaux en ont la disponibilité depuis quelque temps.

Le salon permet de rencontrer, comme par hasard, le voisin de rue ou de ponton, celui qui habite à deux pas, mais que l’on n’a pas rencontré depuis des mois. Et l’on peut y saluer comme des amis les professionnels rochellais, shipchandlers, voiliers, motoristes, puisqu’on est tous un peu exilés sur la même barque, loin de nos tours rassurantes.

Heureusement, le salon est là, qui resserre les liens qui auraient pu se distendre…

 

 

 

 

16, 16 décembre 2005, Sortie d’hiver

 

Frisquet, ce petit matin. Le vent d’Est de l’anticyclone d’hiver dégage un pâle soleil sur ce petit froid sec, la lumière blanche et pure est belle, et la mer plate incite à croire que ce sera une partie de plaisir… Alors, on va sortir, se donner une grande bolée d’air, se prendre un peu pour un terre-neuvas, aller tirer quelques bords dans les pertuis, partir sous spi, et revenir au louvoyage, l’onglée plein les doigts, la tête un peu serrée par le froid, les yeux qui piquent et qui larmoient.

Deux ennemis à combattre : le froid, bien sûr, mais aussi et surtout l’humidité, pernicieuse, celle qu’on ne sent pas forcément tout de suite, celle qui s’insinue partout, dans le cou, devant, derrière, et qui transforme une petite fraîcheur piquante en un insupportable froid sibérien.

La première chose à faire, c’est d’éviter de se mouiller. Alors, prudence de rigueur dans les manœuvres, ne s’aventurer sur l’avant que si c’est absolument nécessaire, et seulement après avoir pris le temps de bien s’équiper, de fermer les écoutilles, de mettre sa capuche par-dessus le bonnet ou la casquette.

Parlons-en de la capuche : Considérée par ses adeptes comme l’ultime rempart, elle abrite son propriétaire de tous les avatars, elle le place hors du monde, avec les avantages et les inconvénients de cette position privilégiée. La capuche protège, c’est vrai, mais elle empêche d’entendre, de voir, de tourner la tête, de sentir dans les oreilles un changement du vent, en force ou en direction. Elle isole du monde extérieur, limite l’horizon et le champ de vision, rend rapidement sourd et aveugle, indifférent à l’entourage, à ses exigences, mais aussi à ses beautés…

Indispensable subterfuge, la casquette ou le bonnet écartent un peu la fameuse capuche du visage, s’y associe pour réaliser un auvent, une sorte de marquise au-dessus des yeux, qui permet de tourner la tête sans immédiatement se retrouver dans le noir…

Ainsi équipé pour le haut, le reste de l’habillement suivra dans le même esprit, assurant protection et indépendance.

Et dès que le temps le permettra, j’enlèverai ma capuche, et je profiterai tous azimuts de ma sortie.

 

 

 

 

 

 

17, 23 décembre 2005, Noël

 

1973, la Whitbread, première course autour du Monde en équipage, s’arrête pour l’escale de Sydney.

Les écarts de temps entre les bateaux à l’arrivée sont en rapport avec leurs différences évidentes. Il y a là Pen Duick VI, son abri « anti vagues » et son lest en uranium qui en avait fait hurler plus d’un, Raph, un bateau léger pour l’époque, confié à Alain Glicksmann et à une bande de sympathiques fous furieux, Kriter, avec un équipage de frères de la côte, et la bénédiction de la boisson à bulles, les Polonais, qui montrent un courage et une détermination hors du commun à boucler la boucle sur un esquif qui nous inciterait à la prudence pour faire seulement le tour de la baie…

Il y a la Rolls, « Sayula », un Swann 65 mexicain, qui arrive comme une fleur, et semble prêt à repartir sur l’heure.

Grand Louis, goélette moderne armée par André Viant, chef d’entreprise qui fait son tour du monde en famille, a été spécialement mis à l’eau pour cette aventure.

Au milieu de toute cette armada hétéroclite qui déboule à Sydney en provenance de Cape Town, ce mois de décembre 1973, je me retrouve un peu perdu parmi les grands, occupé que je suis à préparer un départ pour la course Sydney Hobart, le « Fasnet » austral, la course que pas un marin ne manquerait lorsqu’il a l’occasion d’y participer.

André m’a rencontré sur les quais, et m’a tout naturellement invité au réveillon de Noël à bord de Grand Louis, avec tout son équipage, toute sa famille.

Des bouteilles avaient été sauvegardées, malgré les tempêtes de l’Océan Indien et les coups de blues du pot au noir, Quelques plateaux de canapés circulaient, qui n’avaient rien à envier à ceux de la réception au Consulat de France.

Malgré la chaleur, il y avait de la buée aux hublots, sur lesquels on pouvait dessiner des arbres de Noël. C’est étrange, avec le temps, je crois même revoir une cheminée allumée dans le coin du carré…

On a déballé des cadeaux pour chacun, on a parlé de la course, bien sûr, mais aussi de ceux qui étaient de l’autre coté de la terre, si loin et si près.

Grâce à l’amitié, à la l’ouverture des vrais marins, j’ai participé à un vrai conte de Noël.

Je vous souhaite d’en vivre d’aussi forts.

 

 

 

 

 

18, 30 décembre 2005, Fêtes

 

Si pour cette nouvelle année le vent te permet de toujours aller où tu l’as décidé,

Si la mer elle aussi se met de ton coté,

Si les vagues ont choisi de te pousser plutôt que de te freiner,

Si le soleil, sans toutefois te brûler, accepte de te réchauffer,

Si toujours sous ta quille tu as suffisamment d’eau pour naviguer,

S’il ne t’est toutefois pas nécessaire de mouiller par grand fond,

Si la pluie emplit tes caisses sans te cingler les yeux,

Si ton skipper gentiment te réveille avec des œufs délicieux,

Si tes équipiers font leur quart sans te réveiller,

Si tu trouves pour la nuit une place dans le port de Saint Martin de Ré,

Si tes voisins partent au matin sans le moindre bruit,

Si tu découvre toujours pour t’accueillir le couple d’un bateau ami,

Si ton spi ne prend pas sa liberté sans crier garde,

Si la pompe d’eau du moteur n’avale pas des matières incongrues,

Si tu parviens à garder tes proches et tes amis malgré tes escapades,

Si en plus tu peux les leur faire partager,

Si toujours cette année tu peux naviguer en toute liberté,

Alors 2006 sera belle pour toi, ami marin.

19, 6 janvier 2006, Rois Mages

 

Vous avez déjà essayé vous, de retrouver en pleine mer, un bateau ami, sans l’aide des points GPS précis à quelques mètres près ?

J’ai une fois tenté l’aventure. Quelques jours avant de boucler une sympathique traversée de l’Atlantique, on s’était donné rendez-vous avec un autre traverseur sous un nuage caractéristique en forme de triple tour. Malgré cette particularité qui semblait évidente, nos efforts appuyés et l’aide de la VHF, on s’est rapidement rendu compte du coté quelque peu utopique de nos prétentions, et on ne s’est finalement retrouvés qu’au bistrot de Fort de France…

Les rois mages, grands et nobles navigateurs du désert sur leurs chameaux, n’avaient ni GPS, ni decca, ni consol, ni gonio, ni toran ou sidélis… Ils n’avaient sans doute pas non plus de compas ou de boussole, dont l’apparition, bien que floue, n’est que beaucoup plus tardive. Ils ignoraient le sextant, les tables HO 249 ou celles de Dieumegarde, la Tamaya ou le starfinder de Hewlett Packard…

Pourtant, avec leur seule connaissance du terrain, à l’aide de quelques indications glanées on ne sait où, on ne sait comment, sur la présomption d’un événement qui devait faire grand bruit, mais qui était quand même un peu secret, ils trouvèrent le moyen, en quelques jours seulement, de dénicher l’endroit idoine, le lieu où ils devaient se rendre, pour accomplir leur mission, celle qu’ils ne connaissaient pas, qui leur était venue, un peu comme pour Harry Potter, par un message porté par le hibou de l’époque, et auquel ils avaient cru.

Alors, imaginer qu’on va suivre l’alignement d’une conjonction d’étoile et de planètes, se placer « juste dessous », pour atteindre comme par enchantement le but recherché, quoi de plus naturel ?

L’histoire est sans doute enjolivée, elle ne se base peut-être que sur des affabulations. Mais elle existe, elle a bercé des générations de petits et de grands enfants, croyants ou non croyants. On peut, bien sûr, mettre en doute son authenticité, mais une certitude nous reste :

Les rois mages étaient de sacrés navigateurs.

 

 

 

 

 

 

20, 13 janvier 2006, Livre de bord

 

J’ai eu, ou plutôt mon bateau a eu pour cadeau, dans ces fêtes de fin d’année, un superbe document cartonné, relié, enluminé, dont les pages encore vierges n’attendent que la plume du ou des rédacteurs qui voudront bien l’ouvrir. C’est un livre de bord.

Comme qui dirait une future mémoire de mon bateau, de ses petites et grandes histoires, de ses avatars et des bons soins dont il aura été l’objet, des navigations entreprises, des difficultés rencontrées, des échouages fortuits, des escales recommandées, des restaurants à éviter, des bars à fréquenter, des douches accueillantes, des pontons agités et des mouillages tranquilles…

Sur mon livre de bord, chaque page est divisée en deux : une partie « sérieuse », avec des colonnes et des rangées, des postes, des heures, des caps à suivre, des relevés de positions et des conditions météorologiques. Ces annotations, qui sont d’ailleurs obligatoires pour certaines catégories de navigation, permettent de retracer la vie technique du bateau, et aident très efficacement à en connaître l’historique.

Une autre partie, toute blanche, n’attend que la bonne volonté de l’équipage pour être agrémentée des mille et mille petits détails qui racontent une croisière, décrivent un lieu, permettent de sentir la qualité d’un accueil, et d’en percevoir le goût de « revenez-y ».

Le pêcheur notera les positions secrètes du fameux coin à bar, et la façon dont il a monté sa ligne, le technicien se souviendra de la qualité des fonds, des alignements d’entrée qui permettent d’éviter un caillou affleurant. Je conserve dans mes archives le livre de bord de mon grand-père, embarqué en 1920 sur la Jeanne d’Arc, et annoté par le premier maître en charge de l’instruction des midships. Les cartes sont redessinées, les apparaux de mouillage détaillés, les manœuvres de la Jeanne et des navires des autres nations commentées… Il s’agit d’un véritable journal, méticuleusement tenu, et qui permettrait de retracer tous les événements affectant, de près ou de loin, ce qui touche au navire.

Sans aller jusque là, j’ai bien l’intention de remplir et de faire remplir, à partir de ce jour, le livre de bord de mon bateau, et, contrairement aux années précédentes, j’espère bien aller un peu plus loin que la dixième page…

 

 

 

 

21, 20 janvier 2006, Graphes

 

Suite à quelques soucis de structure du bâtiment, et dans un processus de grande rénovation, Le Musée Maritime est en travaux. Il devrait rouvrir à l’horizon 2008, ce qui nous laisse le temps d’en avoir très envie.

Pour que nous ne restions pas totalement frustrés, la frégate météo France et le chalutier de grande pêche Angoumois restent ouverts au public, près du pont du Gabut, et nous admirerons les expositions qui y sont organisées, sur la pêche rochelaise, les tempêtes et sauvetages, Bernard Moitessier, bien sûr, et aussi ces peintures de vagues réalisées par Fleury, qui a passé des heures sur le pont de France, alors en service, pour retracer les humeurs de la mer.

Mais, autour du chantier du Musée maritime, sur la palissade qui protège les travaux, j’ai découvert avec surprise une exposition vivante, actuelle, une invitation au voyage, au rêve, à la gamberge de bon aloi. Nico, Basile et Bernard, grapheurs de talent, qui ont déjà égayé de nombreux endroits un peu glauques de la communauté d’agglomération, ont été chargés par la ville de La Rochelle d’exercer leur art et de rendre à ces vulgaires tôles un coté vivant et ouvert.

Peignant, pardon, bombant à main levée, ils nous proposent des thèmes sur le remorqueur Saint Gille, d’autres sur des personnages qui pourraient être des pêcheurs au travail ou en goguette, évoquent des instruments de la marine ancienne, et nouent des nœuds qu’Alexandre le Grand lui-même n’aurait su défaire, le tout sous le regard inquisiteur d’une mouette rieuse que Gaston Lagaffe n’aurait pas désavouée. Travaillant là après leur journée d’infographiste ou de créateur, ils sont un peu tributaires des conditions météorologiques, mais la progression au fil des jours et des semaines de cette grande fresque permet d’imaginer ce que vont devenir les espaces encore blancs, de se faire son propre scénario, de le comparer ensuite à ce que nos grapheurs vont effectivement inventer.

Un musée vivant, en extérieur, pourquoi ne pas le faire durer aussi après les travaux ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

22, 27 janvier 2006, Marées

 

Les Méditerranéens trouvent cela à la fois fascinant et magique, un tantinet déroutant pour leurs habitudes, et nous traiteraient parfois de sorciers…

Les Malouins, avec leurs douze mètres de marnage, considèrent que nous sommes des petits joueurs, et que nos paysages marins sont presque statiques par rapport aux leurs.

Quand on parle de marées, de hauteurs d’eau, de jusant et de flot, de pleine mer et d’étale, de morte eaux ou de grandes marées, on glisse le doigt dans un secteur primordial non seulement pour la navigation, mais aussi pour tout ce qui concerne la vie du bord de mer.

Le bassin intérieur du port de La Rochelle, lorsque l’eau arrive jusqu’au-dessus des cales et des plans inclinés et que les pontons surplombent presque le quai Valin, s’impose d’une présence encore plus forte, et le bassin des tours, le havre d’échouage, quand il fait apparaître les mystérieux méandres dans ses mottes de vase, et que les mouettes y laissent leurs traces erratiques, évoque un je ne sais quoi de magique, deux fois par jour renouvelé.

On sait, en fonction des heures de marée, si le pont du Gabut risque de s’ouvrir à la navigation, de se fermer à la circulation, le temps de laisser passer un plaisancier, un bateau de grande croisière en escale prolongée, ou même un pensionnaire du Musée maritime qui va vérifier en mer qu’il est encore capable de naviguer.

Et quand on passera le pont de Ré, en fonction du vent et de la marée, on pourra s’attendre au ballet un peu fou des kite surfs, ou aux arabesques des chars à voile sur la plage de Rivedoux.

Plus loin, au Martray, on prendra conscience de l’isthme entre pertuis d’Antioche et Breton, et du fait que l’on peut toucher la mer, de chaque coté de la route. Ou alors, au même endroit mais avec six heures de décalage, on admirera dans un horizon sans fin l’enfilade de la végétation échevelée des marais à demi asséchés pour un temps, et que fréquentent les oiseaux bien tranquilles dans leurs retraites.

La marée est un des acteurs majeurs de notre cadre de vie, tous les jours, elle nous joue son rôle, et nous permet, en grand régisseur, de profiter d’une infinité de décors.

 

 

 

 

 

23, 3février 2006, Programme

 

Arpenter les océans en course, quoi de plus facile ?

La motivation est extérieure, elle est dictée par un règlement, le parcours est défini, les escales précisées, le type de bateau imposé. La date et l’heure du départ ont été fixées en fonction des accords avec les médias, et de la disponibilité de l’inévitable grand personnage qui aura la charge ou l’honneur de tirer le coup de canon libérateur.

L’équipage a accepté, en connaissance de cause, toutes ces conditions parfois draconiennes, dont il sait qu’elles dicteront l’attitude du skipper. Il n’y aura pas à tergiverser, et tous les sacrifices seront supportés au nom du résultat escompté.

En solitaire, la chose est paradoxalement encore plus facile, et la difficulté apparente des problèmes techniques sera largement compensée par la rapidité de communication avec le seul interlocuteur disponible : soi-même…

Les acteurs de ces exploits attirent bien évidemment l’admiration des foules en délire…

De mon coté, j’avoue bien volontiers un certain penchant pour ceux qui ne font rien.

Il s’agit là d’un art très difficile, qui demande une préparation hors du commun pour être bien interprété.

Réaliser une croisière sans but pré-défini représente des prouesses d’organisation et de sens de la diplomatie familiale et amicale. Les différents éléments d’un équipage de croisière auront tous des motivations totalement disparates. Les uns préféreront l’escale tranquille en rade foraine, les autres voudront à tout prix faire la fermeture des boîtes de la station dans le vent, le technicien voudra bouffer du mille, le touriste laisserait bien le bateau tout seul au mouillage quelques heures pour faire aussi la balade à pied dont il rêve, et visiter le fameux monastère qu’il a repéré depuis longtemps. Le gastronome, lui, vous traînerait bien dans tous les établissements propres à satisfaire ses appétits…

La gestion de telles attentes, guidée par les seules motivations profondes de chaque individualité, demande un charisme et une autorité qui permettront de faire passer tous les compromis, de négocier au mieux des circonstances, et de réussir une croisière dont on ne retiendra que les moments les plus agréables.

 

 

 

 

 

 

24, 10 février 2006, Brumes

 

Il y a vraiment des moments magiques…

Hier matin, en descendant le long du canal Maubec, le débouché sur le quai Duperré était tellement féerique que l’on était transporté dans un autre monde.

La lumière de ce superbe début de journée dévoilait juste le haut des mats de bateaux du bassin intérieur. Les pontons du havre d’échouage, en cours de mise en place, semblaient comme enveloppés de coton. Le pavillon national, fièrement établi plus haut, au sommet de la tour saint Nicolas flottait, tout net, dans une atmosphère déjà pure et claire. Dessous, on devinait à peine le chenal, dans l’espace entre les tours, et le passeur arrivait de nulle part, comme sur un tapis volant, posé sur rien, dans un invisible sillage.

Et puis, avec le réchauffement du soleil d’hiver, le voile s’est tout à coup déchiré.

Rapidement, alors que je m’étais posé pour boire un petit café et jouir du spectacle, les contours se sont fait plus nets, les éléments qui étaient jusqu’alors séparés se sont enfin reliés, se sont posé sur leurs bases à nouveau visibles, ont repris leur forme, leur dimension et leur réalité. Les façades se sont aplaties sous la lumière crue, et on a pu, tout d’un coup, distinguer la limite entre l’air et l’eau. On est redescendu sur terre, on a retrouvé ses repères, on s’est secoué et on s’est extirpé à regret de ce rêve que l’on a contemplé les yeux grands ouverts, et dont on gardera en soi les images irréelles.

En mer, la brume représente bien sûr un danger, elle doit être apprise, respectée et apprivoisée, elle peut, parfois, engendrer quelques inquiétudes quant à la position du bateau, la proximité de la côte, l’éventualité d’une collision.

Mais le spectacle qu’elle nous offre vaut bien ces quelques indispensables précautions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

25, 17 février 2006, Oiseaux

 

Il est venu d’on ne sait où, et il a fait en arrivant un barouf d’enfer, à tel point qu’on s’est dans un premier temps demandé ce qui avait bien pu casser, la-haut dans le gréement.

Ce piaf insolent, inconscient, qui s’est posé en catastrophe sur le pont du bateau, avait-il décidé de traverser l’océan ? S’était-il laissé entraîner par quelque rafale venant de terre ? Avait-t-il suivi un vol de cormorans ou une compagnie de mouettes rieuses ? Il s’est blotti contre une écoute, vaguement protégé par une hiloire, et il tente, à chaque mouvement désordonné du bateau, de garder son équilibre par de petits mouvements instinctifs. Il n’est pas vraiment dans son élément, ce moineau téméraire, et il voudrait bien surmonter son effroi viscéral de l’humain, accepter cette main qui veut le prendre, doucement, le plus doucement possible, pour le mettre à l’abri dans la cabine, avec quelques miettes de pain et un peu d’eau douce.

Tout seul, par petits sauts, après quelques glissades plus ou moins contrôlées, il va parvenir à franchir le seuil du panneau d’entrée de la cabine, et il réalisera un véritable base jump pour se précipiter dans le carré.

Ouf ! Une rapide visite des lieux lui permettra de déterminer que le meilleur endroit, c’est bien le poste avant, agité, certes, mais convenablement éloigné des activités suspectes de l’équipage, qui fait pourtant tous ses efforts pour rester discret et respecter la tranquillité de ce nouvel hôte.

Car le bord s’est brutalement senti investi d’une mission de sauvegarde de ce petit bout de vie qui s’est confié à lui, seule planche de salut envisageable dans sa situation désespérée. Et même les équipiers réputés les plus insensibles fondront devant cette boule de plume, s’inquiéteront de ses possibilités de récupération, se soucieront de l’entendre se manifester, oublieront les éventuels petits souvenirs qu’il laissera sur un coussin ou un matelas.

Plus tard à l’escale, notre invité quittera discrètement le bord, et s’en retournera vers les siens, conter l’étrange traversée qu’il n’aurait jamais osé rêver, et qui, peut-être, lui a fait toucher de nouveaux rivages.

 

 

 

 

 

 

 

26, 24 février 2006, Mal de mer

 

Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés !

Ou presque… Car c’est bien là le lot commun à tous les humains. Ils ont l’habitude d’avoir, sous leurs pieds, un sol stable. Et il faut bien le dire, le pont d’un bateau est loin de répondre à ce critère impérieux pour le confort et la sérénité de certains.

Car le mal de mer, sournois, guette, attaque et terrasse celui qui s’y laisse prendre.

Il paraît que ce sont les canaux semi-circulaires, centre de l’équilibre présent dans l’oreille interne, qui s’affolent lorsqu’on perturbe leurs repères de terriens, et mettent un peu le souk dans notre machine.

C’est tout d’abord comme un désintérêt général pour ce qui se passe, une sorte de léthargie qui annihile toute volonté, un bourdonnement interne qui prend le pas sur toute autre sensation. Ce sont, bien sûr, les nausées, les désordres gastriques, une apathie générale. Et ça peut continuer par une impossibilité totale à se supporter, allant même parfois jusqu’à une volonté de passer par dessus-bord… Mais que suis-je donc venu faire dans cette galère ?

Alors, comment réagir ? Se préparer, embarquer en bonne forme physique, reposé, éventuellement aidé par un de ces médicaments maintenant très efficaces et qui n’endort pas trop.

Prendre le taureau par les cornes, rester actif et éveillé, se couvrir, sans toutefois s’engoncer dans des vêtements trop serrés, se protéger du froid et surtout de l’humidité,

Regarder autour de soi, anticiper sur les mouvements, ne pas capituler devant la vague traîtresse qui voudrait s’inviter à bord et s’immiscer dans votre col.

Avoir confiance, confiance dans le matériel auquel on se confie, dans l’équipage qui l’utilise, dans les capacités du chef de bord ou du navigateur…

Ne pas tenter d’imiter celui qui n’a JAMAIS le mal de mer, et qui travaille à la table à cartes, répare le moteur ou prépare un petit frichti dans n’importe quelles conditions, avant d’être soi-même bien amariné,

Et puis, ne pas oublier de manger, de préférence des bonnes choses, si possible du chaud, pas bourratif, pas trop acide, pas trop salé, juste quelque chose de bien, qui coule tout seul, avec lequel on se fera un petit plaisir…

Et surtout, boire, boire de l’eau toute bête, de l’eau plate, même si on n’a pas la sensation d’avoir soif, même si on n’en a pas très envie…

Et si tout va très mal, profiter d’un éclair de lucidité et de l’aide des copains pour aller s’allonger, et s’endormir en attendant que ça passe… demain sera un autre jour !

27, 3 mars 2006, Alccols

 

C’était un jour, étant en pénitence, dans les z’haubans, pour avoir fait bomban-an-ceuh, pour avoir bu sans permission, du vin qu’il en restait dans le fond d’un bidon…

Les chansons de marins sont nombreuses, qui évoquent le vin ou l’alcool, les virées à terre et les beuveries incontrôlées.

Le capitaine Haddock, lui, était furieux lorsque Tournesol remplaçait ses précieuses bouteilles par les tôles de son sous-marin révolutionnaire destiné à percer le Secret de la Licorne.

Dans Fleur de Passion, histoire de l’impossible restauration d’un vieux gréement, l’auteur nous démontre qu’une bouteille débouchée ne peut en aucun cas être refermée, et qu’il est indispensable, pour ne pas risquer de renverser et de gâcher le précieux nectar, de la vider consciencieusement. Le problème, c’est que les héros de ce merveilleux bouquin débouchent les bouteilles sitôt que l’une d’elle voit son niveau commencer à baisser…

Toute la littérature de marine met l’accent sur l’importance du ravitaillement en alcool de l’équipage, et sur les horribles conséquences d’une pénurie aussi faible soit-elle.

Et ne saluait-on pas les meilleurs manœuvriers, ou l’homme de veille qui, le premier, avait aperçu la terre, par une double ration de ratafia ou autre tord boyau ?

Mais qu’ont-ils donc, ces marins, à boire ainsi plus que de raison ?

Peut-être n’est-ce là que le reflet d’une époque ancienne, quand la vie de marin était très dure, tant physiquement que moralement, que les protections contre les intempéries étaient bien faibles, que les risques étaient énormes, toujours présents, que les navigations étaient hasardeuses, incertaines, que l’éloignement des siens était long, très long, que les liaisons avec un monde civilisé n’étaient possibles qu’en fin de campagne…

Aujourd’hui, il n’y a plus de réelle raison à entretenir de telles habitudes, mais on peut toujours fêter dignement le retour d’une belle croisière, une mise à l’eau, une victoire en régate…

Et Yodlohh, et une bouteille de rhum !… Avec modération…

 

 

 

 

 

 

28, 10 mars 2006, Petits plats

 

Bien que les bateaux soient très souvent utilisés en simple sortie de la journée, un des grands plaisirs du bord est et reste la cuisine.

C’est étonnant ce que l’on parvient à élaborer dans un espace exiguë, avec, souvent, un simple réchaud à deux feux, et un plan de travail emprunté à la table à cartes, au grand dam du navigateur…

Les meilleures recettes de bord seront relativement basiques. Elles pourront s’accommoder d’un certain à peu près dans leur réalisation, à peu près qui permettra au maître queue d’exprimer toute sa créativité immédiate. Elles autoriseront le remplacement de tel ou tel ingrédient par un autre, plus facile à transporter, à conserver et à mettre en œuvre.

Si le résultat peut être servi pendant une période prolongée, cela permettra aussi à ceux qui sont « de quart » de régaler, un peu plus tard, leurs papilles. Les plats longuement mijotés sont alors pain béni, car ils s’améliorent souvent lorsqu’ils sont réchauffés, quand il en reste…

Une ancienne méthode consistait à préparer, à la maison, une daube, une blanquette, un navarin, une de ces recettes de la tante Madeleine, à la mettre dans une cocotte minute, hermétiquement close, insensible aux mouvements désordonnés du bateau, et à la faire doucement réchauffer lorsque le besoin s’en faisait sentir. Au changement de quart de 4 h du matin, c’était un vrai bonheur…

Et la manière de faire bien et rapidement les choses simples, c’est le secret du bonheur des équipiers. Un bête œuf sur le plat, pour lequel on a émincé un petit oignon, fait revenir puis déglacer au vinaigre une tranche de poitrine fumée (pas sous plastique, une vraie du marché, que le charcutier a tranché à l’épaisseur voulue), que l’on a fait cuire en deux temps, en réservant le jaune pour qu’il ne soit pas trop cuit… Et l’on sert tout cela avec un toast grillé et un peu de beurre salé… Luculus brunche chez Luculus… Le mouillage de Rivedoux ou de l’île d’Aix prend sa troisième étoile…

Alors d’accord, les déshydratés, les plats tout prêts, les trucs en poudre, ça peut permettre de se nourrir, mais un peu de temps passé aux fourneaux, ce sera toujours magique.

 

 

 

 

 

 

29, 17 mars 2006, St Patrick

 

Car Patrick l’Irlandais s’en revient, pour mourir à Dublin…

C’était une chanson des frères Jacques, basée sur les pérégrinations d’un marin irlandais, qui revenait au pays après avoir couru les océans, les bonnes et les mauvaises fortunes.

Aujourd’hui 17 mars, ça ne vous a pas échappé, c’est la Saint Patrick.

Le patron des ingénieurs… Mais aussi et surtout patron de l’Irlande.

Les Irlandais sont proches de nous, leur île posséde des façades maritimes importantes, superbes, variées, parfois difficiles à apprivoiser, avec des courants violents, des cailloux et des embûches partout, une météo délicate, une visibilité qui peut être réduite à presque rien…

Quand la radio britannique, la BBC, annonce dans ses bulletins pour les zones « Sole, Lundy, Fasnet, Irish Sea…Gale Warning (avis de tempête) », on sent comme un parfum de réelle haute mer et d’aventure, comme si on était revenus dans des temps pas si anciens, où les bateaux et leurs équipages étaient nécessairement en autonomie.

Mais ça vaut le coup de se préparer, de partir pour quelques semaines vers ces rivages un peu lointains, de longer la côte sud, de s’arrêter à Kinsale, de connaître enfin le fameux phare du Fastnet, perché sur son rocher escarpé, d’éviter les filets à saumon, de se faufiler dans le canal Saint Georges, à l’est, entre les bancs de sable après Tuskar, et de remonter jusqu’à Dublin, ou de pousser en Atlantique, vers l’ouest, après Mizzen Head, jusqu’à Dingle et Westport, d’oser approcher les fameuses îles d’Aran, quasiment inaccessibles en face de Galway et de ses labyrinthes de récifs et de rochers.

Il aura fallu quelques jours de mer pour arriver, ne pas s’être trop attardé dans le petit paradis des îles Scyllies, à la pointe de la Cornouaille, avoir traversé, en général contre le vent, la mer d’Irlande, ce qui aura soudé l’équipage, et bien fait mériter les soirées au pub, noyées dans les chopes, les chansons et la bonne humeur.

Les Irlandais son accueillants et sympas, on y est vite chez soi.

Ils sont d’ailleurs quelques-uns uns à naviguer régulièrement dans nos eaux.

On pourrait l’été prochain, tôt dans la saison pour profiter des immenses journées, naviguer pour de vrai, et leur rendre visite chez eux.

 

 

 

30, 24 mars 2006, Ports de La Pallice

 

C’était avant le plan vigie Pirate et toutes les contingences qu’il a développées. C’était quand les pêcheurs du soir venaient, à la nuit tombée, taquiner à la turlutte les petits calmars sous le pont qui mène au môle d’escale, quand son accès était bien « réservé au service », mais libre tout de même pour les amoureux de ce site hors du commun.

Lorsque des amis extérieurs à La Rochelle venaient me rendre visite, que l’hiver réservait ses longues nuits froides, ventées, pluvieuses, brouillardeuses, que les cargos déchargeaient, dans un halo de lumière crue, sur cette île artificielle de béton, flottant sur un fond de sable, leur cargaison venue de l’autre bout de l’Atlantique, de l’autre bout du Monde, je les emmenais dans cette balade hors du commun, hors du temps, au cours de laquelle on se sentait comme dans un film de Hitchcock, s’attendant à tomber, au coin de chacun des hangars un peu lugubres, sur une scène épouvantable que l’on redoutait en l’espérant secrètement…

Aujourd’hui, seul le port de pêche de La Pallice reste accessible au public, avec ses petites cahutes ateliers bien alignées, dans lesquelles les marins ou les artisans entreposent leurs outils, filets, casiers, apparaux divers et variés. Les couleurs vives font un peu penser à ces ports du Danemark, les filets en réparation, étendus sur le sol, ne gênent personne, les bateaux attendent sagement sur leur ponton que la marée soit propice, que le matériel soit au complet, que l’équipage soit prêt. De l’autre coté, vers la criée, les caisses et cagettes sont empilées, avant d’être remplies, demain matin peut-être, et expédiées sur les marchés de France et de Navarre.

Juste à coté, le parc des grumes, ces énormes billes de bois, accueille les essences du Brésil, d’Afrique, du Canada, d’autres pays lointains que je ne saurais même pas où placer sur une carte… Si le vent est au nord, il m’apporte les odeurs un peu âcres et acides de ces bois qui font voyager. Et je peux observer la noria des engins de manutention et des camions dans un hors d’échelle qui ferait penser à des scarabées maniant des brindilles avec leurs pinces.

C’est tout proche, c’est une découverte d’un monde fascinant, c’est une des facettes importantes de notre relation avec la mer.

 

 

 

 

 

 

31, 31 mars 2006, Météo et dictons

 

Aujourd’hui, c’est le 31 mars. Fin du mois des fous, fin des giboulées ?

Ces derniers jours, on a été servi. Alors, on reste pendu aux bulletins des diverses radios, on consulte les avis aux navigateurs affichés dans les capitaineries, on écoute l’opinion des pratiques locaux, eux qui, en principe, ne devraient pas se tromper… L’étude des mouvements parfois erratiques de l’aiguille du baromètre devient une quasi-obsession.

Sur le bon vieil instrument anéroïde d’une des îles des Glénans, il y avait un mot écrit à la main : « Ne me frappez pas, je fais ce que je peux »…C’est tout dire…

Mais, de toute façon, c’est bien connu, qui trop écoute la météo perd ses forces au bistrot.

Alors, pourquoi ne pas s’en remettre directement, et souvent pour un résultat plutôt satisfaisant, aux conclusions parfois alambiquées dans leur formulation, mais le plus souvent frappées de bon sens, des dictons spécialisés :

Ciel pommelé, femmes fardées sont de courte durée.

Le ciel est rouge, il fera beau.

Ciel en haubans, marin, prépare ton caban…

Tous ces adages, parfois péremptoires, sont, en fait, le résultat d’observations locales sur des années et des années, par des gens qui les ont concoctés après avoir effectivement constaté que les petits nuages pommelés dans le ciel annoncent un changement rapide du temps, que le couchant rouge fait espérer un lendemain ensoleillé, alors que le jaune pâle peut laisser prévoir une dépression et un temps maussade, que les grandes traînées verticales et grises indiquent à coup sûr la venue d’un grain qui mouille…

Il faut remarquer que les dictons s’occupent beaucoup plus de prédire le mauvais temps que les conditions dites « de curé », ou « de demoiselle ». Normal, car ce qui était jadis nécessaire, c’était de disposer de signes faciles à repérer, à mémoriser, à interpréter pour savoir quand il y avait urgence à prendre des dispositions de sécurité.

Et puis, ne l’oublions pas : un troisième enfant apportera plus de joie au foyer qu’un congélateur neuf… Oh, pardon !, ce dicton là ne concerne pas le temps, mais il était dans un almanach du Marin Breton des années 60, et il vaut son pesant de bigorneaux.

 

 

 

 

32, 7 avril 2006, Hauteurs d’eau

 

Il y a eu 115 de coefficient de marée, la semaine dernière…

De quoi faire, pour les aficionados des calculs de marée et des hauteurs d’eau, de quoi aussi donner des cauchemars aux navigateurs néophytes. C’est pourtant simple. D’abord, on détermine, grâce à l’annuaire des marées, le marnage du jour, c’est à dire la différence entre la hauteur d’eau de pleine mer et celle de basse mer. Ensuite, on applique la fameuse règle des douxièmes : 1, 2, 3… 3, 2, 1, A partir de l’étale de basse mer, celle ci monte de 1/12° de son marnage pendant la première heure, 2 douxièmes dans la deuxième, 3 dans la troisième, puis encore 3, puis 2, et enfin 1 dans la dernière heure. Comptez bien, 1 + 2 + 3 + 3 + 2 + 1, ça fait bien 12.

Cela se complique un peu, parce que la marée ne dure pas exactement 6 heures, mais ça n’est pas loin, il suffit de … Oh, et puis zut !

Foin de règle des douxièmes, de sinusoïde, de correction pour cause de vent d’ouest ou de dépression, qui augmenteront la hauteur d’eau, de vent d’est ou d’anticyclone, qui feront découvrir plus, et plus longtemps… Observons un peu ce qui se passe, regardons un simple barreau d’échelle de quai, proche de la surface de l’eau, et qui nous indiquera tout de suite, parce qu’il est mouillé, que la marée descend, ou, parce qu’il est sec, qu’elle est en train de monter. Regardons la couleur de l’eau, qui est claire quand elle vient du large, portée par le flot, trouble quand elle descend, chargée des alluvions récupérés le long des côtes.

Il y a quelques années, j’avais emprunté un bateau au port des Minimes, en avant saison. L’annuaire des marées du bord donnait un plein d’eau vers 4 h de l’après midi, situation idéale pour aller faire un tour à Saint-Martin. J’arrive à proximité, et je m’étonne de l’importance de la hauteur apparente des jetées. Confiant dans mon almanach, fort du fait que la marée est montante, je poursuis mon approche, à vitesse réduite, et je me plante… Convaincu que la marée monte, j’attends un peu, pour me rendre compte au bout de quelques minutes qu’elle baisse… Par quel prodige ? Tout simplement parce que l’annuaire des marées était celui de l’année précédente…

Les savants calculs, c’est bien, rester attentif à la réalité des choses et à l’observation directe, c’est parfois plus sûr et plus rapide…

 

 

 

 

33, 14 avril 2006, Fortune de Mer

 

Fortune de mer !

Curieux terme pour désigner un événement qui devrait plutôt être qualifié d’infortune de mer…

C’est peut-être parce que, il n’y a encore pas si longtemps, les habitants des zones côtières considéraient comme une bonne fortune, à juste titre vu de leur clocher, tout ce qui leur venait de la mer et qu’ils savaient, à l’occasion, profiter des opportunités que leur apportaient parfois les éléments déchaînés, sous forme de navires marchands qui venaient se fracasser sur les récifs.

A tel point que certains d’entre eux, las d’attendre trop longtemps une hypothétique tempête, aidaient un peu la nature, se transformaient sans scrupule en naufrageurs, et allumaient des feux pour guider les navires vers des récifs meurtriers, dans le but inavouable mais bien affirmé de les échouer et de les piller.

Aujourd’hui, la fortune de mer, c’est un peu la faute à « pad’chance », c’est le terme consacré qui met en évidence et officialise l’impossibilité d’attribuer un sinistre ou un événement à un élément reconnu et avéré. Ce pourrait être une erreur d’appréciation, une faute de navigation, une collision pour défaut de veille, un défaut d’entretien, le vieillissement d’une pièce… Mais non, aucune de ces causes ne peut être retenue, et l’on est bien obligé d’accepter l’inéluctable perfidie des éléments occultes, l’action d’un gremling pernicieux, l’influence d’un animal à longues oreilles, le fameux cousin du lièvre, que l’on aurait laissé s’introduire clandestinement à bord…

La fortune de mer, c’est ce qui permet de dire à son assureur « j’ai tout fait bien, je suis resté « dans les clous », j’ai utilisé mon bateau en bon père de famille… et malgré ça, patatras ! Le mat est tombé, le bout’ s’est pris dans l’hélice, l’OFNI (objet flottant non identifié), a sauvagement attaqué mon bateau, une remontée des fonds non prévue s’est dressée devant ma route… »

Cela peut, bien sûr, arriver au courts d’une saison, mais n’invoquons pas trop la sacro-sainte « fortune de mer », acceptons nos propres responsabilités et retenons également la possibilité d’avoir commis une erreur, cela nous permettra de ne pas la rééditer.

 

 

 

 

 

34, 21 avril 2006, Course Croisière EDHEC

 

Ils sont venus, ils sont tous là…

Depuis les 19 équipages participant à sa première édition en 1969, la course croisière Edhec a fait du chemin. Plus de 200 bateaux se donnent rendez-vous, tous les ans, un peu après Pâques, pour que les « Edéchiens » en décousent sur l’eau, à grands coups de virements de bord, d’empannages, de tribords et de départs parfois un peu chauds… Cette année, c’est sur le plan d’eau de La Rochelle que se déroulent les débats et les ébats de la sympathique horde des participants, et ils ont planté leur grand tipi sur le terre-plain des Minimes, y assurant une certaine animation.

Pour les habitués, c’est le rendez-vous incontournable, un de ceux qui vous inviterait à ne jamais envisager d’arrêter les études, à prolonger ad-vitam le statut béni d’étudiant…

Pour certains, c’est une occasion en passant, de mettre en valeur entre deux cours l’expérience acquise au cours de navigations familiales, de faire un break avec les révisions, de rencontrer ses copains dans un contexte différent.

Pour d’autres, c’est une première, un baptême du feu, de l’eau, de la compétition, la découverte d’un monde inconnu, un peu étrange et parfois hostile de prime abord, mais qui peut susciter des vocations.

Pour quelques furieux du stick ou de l’écoute, c’est leur véritable championnat du monde, pour lequel ils s’entraîneront dur tout l’hiver, dans le seul but avoué et affirmé de gagner.

Pour un grand nombre, c’est une fête à terre, une sorte de Fest-Noz ou de Happening, avec aussi quelques bateaux sur l’eau, sur lesquels il faudra bien aller naviguer, parfois dans un état un peu second, pour être à l’heure au départ de la première manche du jour.

Pour tous, c’est une formidable occasion de réaliser un projet en vrai, avec des contraintes humaines, techniques, financières, avec un réel résultat au bout, fruit de l’engagement de chacun des participants de l’équipe qu’il a fallu créer pour l’occasion.

La course croisière EDHEC, c’est un apprentissage de la vie active, dans les conditions du direct, c’est un espace d’échanges et de convivialité, d’efforts et de découvertes.

Que du bonheur !!!

 

 

 

 

35, 28 avril 2006, Rayon vert

 

Le rayon vert, pour certains, c’est un peu le monstre du Loch Ness.

Pourtant il existe, beau et fugitif, il se mérite et, lorsqu’on a eu la chance de l’observer, on en retient à vie la couleur, qui persistera comme une saveur, et l’on n’aura de cesse de retrouver les conditions bénies dans lesquelles on pourra le traquer à nouveau.

Les beaux jours nous apportent enfin des soirées ensoleillées et magiques, avec des couchers de soleil un peu tardifs, qui permettent d’aller tranquillement à leur rencontre, de les attendre, de les déguster, de les commenter.

Pas besoin de sortir en mer, il suffit de dénicher un coin de côte dégagé, d’où il sera possible de voir le soleil plonger directement dans l’Océan.

Il faut, bien sûr, que le couchant soit clair et sans nuage, débarrassé de cette petite brumasse qui, souvent, vient subrepticement, au dernier moment, en troubler la pureté.

Alors, lorsque le soleil va disparaître sous l’horizon, qu’il n’en reste qu’un minuscule morceau, que son éclat peut enfin, sans plus nous aveugler, se marier au bleu de l’azur pour créer une tache verte un peu flashy, un peu « pré irlandais » tendre, qui remplace pour un instant le jaune habituel, s’impose à notre regard et ajoute une nuance nouvelle à notre palette de couleurs.

En mer, où il est plus facile de disposer d’un horizon parfaitement dégagé, on est sur place, aux premières loges, pour profiter de la moindre opportunité météorologique qui permettra le phénomène. Le grand jeu, lors de certaines courses en solitaire du Figaro, consistait à annoncer à la flotte qu’il allait y avoir, ce soir à 21 h 23, représentation d’un coucher de soleil avec rayon vert… En général, ça marchait, et, le temps d’un instant, la compétition était comme suspendue, les VHF muettes, l’attention des coureurs concentrée vers ce point fugitif.

Les plus chanceux ou les plus doués pouvaient même, dans certaines conditions, utiliser la houle pour profiter du spectacle plusieurs fois en une seule soirée. Le temps d’une vague, en changeant de position sur le bateau, il est possible de compter jusqu’à trois représentations, la première en mettant son œil au ras du pont, une autre en se dressant sur le roof avec une deuxième vague, la dernière en grimpant vite sur la bôme, de manière à éloigner encore l’horizon et le moment inexorable et magique du coucher de soleil.

Le Petit Prince en aurait sans aucun doute admiré des centaines.

 

 

36, 5 mai 2006, Rencontres

 

Dans le désert, il ne se passe pas un incident sans que, curieusement, une foule de témoins se manifeste, qui était là, invisible mais bien présente, attentive à ce qui se passe sur son territoire.

En mer, on est rarement tout seul, et les rencontres sont fréquentes, souvent pleines de vie, d’enseignements, d’échanges…

Même en pleine mer ! Lorsque France, le navire météo maintenant sagement amarré devant la station France Bleu de La Rochelle, était en station au fameux « point K », perdu à quelque 600 milles dans l’Ouest de Brest, il y avait invitations à bord et visites de courtoisie… Les navigateurs qui passaient dans les parages tentaient de faire coïncider leur route avec la position exacte de la frégate, juste pour en saluer les occupants, et, dans certains cas, une situation calme exceptionnelle permettait même un accostage et un dîner fin à bord…

Sir Francis Chichester, lui, s’invitait tout seul à son bord. Pour son anniversaire, alors qu’il était en pleine course transatlantique en solitaire, dans des conditions de confort, ou plutôt d’inconfort spartiates, il se mettait en smoking et se faisait quasiment un petit dîner aux chandelles entre Plymouth et Newport…

Avec les pêcheurs, les rencontres sont d’autant plus facile et chaleureuses que l’on est plus loin des bases. En mer d’Irlande, quand on croise un bateau immatriculé à Concarneau, Lorient, Paimpol, on peut le saluer en VHF, et tailler une petite bavette avec lui. Dans certains cas, on négociera du poisson frais ou quelques crustacés. Lors d’éliminatoires de la Coupe America à Newport, j’avais ainsi abordé en mer un caseyeur local, et j’avais rapporté un cent de homards, pour fêter dignement, avec toute l’équipe, l’accession en demi-finales.

Tout n’est pas toujours rose dans les rencontres en mer… Une fois, au large des côtes africaines, il m’est arrivé de mettre en marche le moteur très rapidement, et de montrer, au petit matin, dans un quasi calme plat, que mon bateau était mené par un équipage éveillé et actif… Le chalutier à allure un peu pirate qui nous venait droit dessus a fait demi-tour, je n’ai jamais su et je préfère ignorer quelles étaient ses intentions initiales.

Dans les rencontres, il n’y a pas toujours que des gentils Snarks, et il faut soigneusement éviter les Boudjoums, comme le préconise Lewis Carol.

 

 

 

 

37, 12 mai 2006, Nœuds

 

Alexandre le Grand utilisait sa méthode personnelle, expéditive, définitive, impériale : par le glaive acéré qu’il maniait de toute la fougue de son bras de guerrier, il tranchait d’un seul coup le nœud gordien.

Pour ne pas avoir à en arriver à de telles extrémités, autant utiliser le bon nœud, au bon moment, pour le bon usage.

Les nœuds sont de diverses natures. Ils servent à frapper un bout’ sur un point d’écoute, de drisse, d’amure, sur un œillet de ris… Ils permettent de raccorder, d’assembler, provisoirement ou définitivement, des éléments disparates. Ils sont indispensables pour amarrer le bateau, poser convenablement une défense, assurer un équipement de pont…

Certains nœuds, anciens et maintenant quelque peu inusités, sont de véritables œuvres d’art. Ils permettaient de transformer un simple fil de caret, un bitord, un filin, un vulgaire cordage, presque une ficelle pour ne surtout pas dire une corde, en un objet noble, empli d’une réelle utilité, destiné à un usage bien particulier. Cette belle discipline, le matelotage, c’était la signature du gréeur, le point d’orgue à l’armement d’un nouveau bateau. Si les épissures classiques ne sont plus de mise, avec les cordages modernes, il est facile de réaliser de très belles cosses et des finitions impeccables, avec les aiguilles creuses adaptées au diamètre utilisé, qui permettent de repasser l’âme du bout’ dans sa gaine. Et rien n’empêche de fignoler une jolie petite surliure pour terminer de manière propre et nette une extrémité de drisse.

Le fameux nœud de chaise, celui qui est mis à toutes les sauces et qui peut, s’il est bien fait, se dénouer même après avoir été fortement sollicité, est un peu le pont aux ânes, le théorème de Pythagore du marin. Il reste la base de tout apprentissage, et les méthodes pour l’enseigner et le mémoriser sont légion. Le serpent taquin qui sort du puits et y disparaît après avoir fait le tour de l’arbre est un bon moyen de s’en souvenir, sauf qu’on ne sait jamais dans quel sens faire le tour de l’arbre…

Si vous savez aussi faire un nœud plat, à ne pas confondre avec le nœud de vache, le nœud de cabestan, très utile pour les amarrages, et que vous pouvez réaliser à bon escient une ganse, qui se défera en tirant simplement le bon bout, vous pourrez oublier la méthode d’Alexandre, certes efficace, mais peut-être un peu brutale.

 

 

 

 

 

38, 19 mai 2006, Une belle histoire

 

C’est une belle histoire, une histoire de course, de respect, d’amitié, de rapports humains.

A la fin d’une étape d’une course en solitaire du Figaro, une option de navigation se présente, alors que j’étais, pas très bien placé, en douzième position.

Au lieu de suivre mes prédécesseurs dans le chenal principal, je choisis de tirer des bords dans un goulet étroit, parsemé de cailloux, malgré les conditions difficiles de marée descendante et de jour déclinant.

Ajoutez à cela que nous en étions au troisième jour de course, et que le sommeil et la fatigue commençaient à s’accumuler. Prenez également en compte que le GPS n’existait pas, que le pilote automatique était un conservateur d’allure de l’époque, loin des performances de nos appareils maintenant perfectionnés…

Je tirais mes bords avec la carte de détail bien calée dans le fond du cockpit, une main pour la barre, l’autre sur l’écoute de génois, une troisième occupée à assurer la bastaque, la quatrième pour la grand’voile, la cinquième tenant fermement le mini compas de relèvement… Vive Shiva ! Les yeux, un peu rougis par la veille prolongée, le sel et la lumière, étaient fixés sur les réglages pour aller vite, sur la surface de l’eau pour déceler les moindres frisottis annonciateurs de remontée des fonds, sur les alignements de sécurité que je me fixais, et que je me permettais parfois de dépasser.

Un concurrent m’a suivi, et a mis son sillage exactement dans le mien, quelques longueurs derrière. Un autre l’a imité, s’est écarté de quelques mètres du passage, et, après avoir talonné durement, a pompé jusqu’à l’arrivée pour étancher la voie d’eau qu’il avait provoquée, et à perdu plus d’une heure.

Avec mon poursuivant immédiat toujours bien calé dans ma roue, nous sommes sortis de cette position délicate, et avons constaté avec une certaine satisfaction que nous étions respectivement remontés aux 4° et 5° places, et que nous naviguions en route directe vers l’arrivée, distante de quelques milles.

Dans ces conditions de mer plate de vent léger et de près bon plein, je savais que mon adversaire disposait d’un léger avantage sur moi, et qu’il avait toutes chances de me dépasser. C’est alors que je l’entendis m’appeler, et qu’il me dit simplement : « Laurent, tu nous as fait gagner 8 places, fait ta route tranquillement, je resterai derrière… ». Ce qu’il fit.

Il y aurait tant à dire qu’il n’y a pas de commentaire.

 

 

 

 

39, 26 mai 2006, Week-end chargé

 

C’est une tradition, le Week-end de l’Ascension est animé dans les ports et sur le plan d’eau des Pertuis.

La Semaine Internationale de la Voile de La Rochelle réunit depuis 43 ans les bateaux de course habitables. Elle a toujours été une sorte de prologue avant les grandes régates estivales. Les skippers en profitent pour procéder aux ultimes réglages, essayer les équipements dernier cri, ajuster les manœuvres les plus délicates, peaufiner la cohésion de l’équipage, évaluer les forces et les faiblesses des adversaires.

La Semaine, c’est aussi pour certains le point d’orgue des championnats d’hiver et de printemps, la fin de la saison de course, après laquelle on mettra le bateau en configuration de croisière, pour aller tranquillement explorer les rivages de Bretagne sud, de Galice ou d’Irlande.

Pour d’autres, ce sera la seule occasion de l’année de se confronter en régate, de mesurer ses performances, d’observer la manière d’exploiter une situation, un matériel, des compétences, d’essayer d’aller le moins lentement possible d’un point à un autre du plan d’eau. Ceux là, régatiers très occasionnels, peuvent participer aux quatre journées de la Semaine, ou juste courir le fameux tour de l’île de Ré, dont le départ est demain matin. Si le bateau n’est armé que pour une navigation à moins de six milles d’un abri, ils participeront à la Ronde des trois îles, qui se déroule dans le pertuis d’Antioche, entre Ré, Oléron et Aix.

Pendant ce même grand Week-end, l’Ecole de Voile Rochelaise organise avec leur association française la 6° Coupe d’Europe des patins à voile. Ces drôles d’engins, catamarans de sport sans bôme, sans dérive, sans gouvernail, se manient par un unique équipier et se dirigent par de subtils déplacements du poids et par le réglage constant de la voilure. Nés en Espagne au début du siècle dernier, ils sont des précurseurs, et un peu des dinosaures. La Rochelle, qui avait déjà organisé leur première coupe d’Europe, en 2001, avec 19 concurrents, en accueille cette fois-ci une quarantaine. La simplicité de ces embarcations n’est qu’apparente, et ça vaut le coup d’admirer la dextérité de leurs barreurs sans barre. Le spectacle de leur départ de la cale du port, en fin de matinée, vaut le déplacement, et après leur régate, en fin d’après-midi, ils feront des démonstrations sur la plage des Minimes, et viendront même jusqu’au vieux port, météo permettant.

Une découverte qu’il ne faut pas manquer, dès aujourd’hui.

 

 

 

40, 1° juin 2006, La loi du moindre effort

 

On ne sait pas vraiment pourquoi, mais c’est souvent comme ça : Si on part en croisière au louvoyage, contre le vent, il y a toutes les chances pour que celui-ci tourne malicieusement juste au moment du retour, et que, alors que l’on pensait pouvoir rentrer tranquillement aux allures portantes, on ait à conserver bottes et cirés pour continuer de naviguer dans des conditions inconfortables. L’un des grands principes d’une croisière réussie, c’est de partir vent arrière, pour revenir vent arrière. En effet, chacun sait depuis longtemps que la navigation contre le vent, c’est deux fois le temps, trois fois la peine. Alors que la progression aux allures portantes est rapide, directe, évite les embruns sur le pont, les coups de gîte incontrôlés, permet presque de faire des pronostics au sujet de la fameuse ETA, heure estimée d’arrivée.

Comme en montagne, les distances ne se mesurent pas directement sur la carte, en traçant une simple ligne droite. Il faut aussi tenir compte des montées et des descentes, de la nature et des difficultés du terrain, des avantages liés à un parcours un peu écarté de cette ligne droite. Quand, lors de la course de La Rochelle à la Nouvelle Orléans, le catamaran Charente Maritime avait délibérément et seul de tous les concurrents choisi la route des alizés, quelque 15% plus longue que la sacro-sainte orthodromie, tout le monde avait crié au coup de poker, à un choix suicidaire… Mais non, cette option était parfaitement réfléchie, prenait en compte les caractéristiques du bateau, associait ses performances aux prévisions météorologiques. Le résultat, on s’en souvient, a été une écrasante victoire, réalisée dans un confort de navigation qui frisait l’indécence par rapport aux pauvres adeptes de la route plus au Nord, qui avaient bataillé contre le vent et qui n’étaient arrivés que bien plus tard, sur une route pourtant nettement plus courte en distance pure.

Exploiter au mieux les éléments qui nous sont proposés, s’en faire des alliés au lieu de les combattre, c’est choisir la solution du moindre effort, et, même en croisière, cela permet de s’économiser, d’épargner les forces de son équipage, d’être plus tôt à l’escale, de jouir plus longtemps des endroits sympathiques, d’avoir l’occasion de faire plus de rencontres, de découvrir des gens, de nouer des amitiés, de profiter des bons moments.

 

 

 

 

 

 

41, 8 juin 2006, Pêche et plaisance

 

Nous sommes voisins…

Depuis maintenant plus de 10 ans, notre port de pêche a déménagé des bassins de La Rochelle vers ceux de La Pallice.

Cela n’empêche pas pêcheurs et plaisanciers de se retrouver toujours sur le même terrain d’activité, la mer.

Les activités des uns et des autres sont extrêmement variées, que ce soit, pour les premiers, le chalutage sur une marée, la pose de filets ou de casiers, la grande pêche dans des eaux lointaines, ou, pour les seconds, la sortie de quelques heures, la pratique du dériveur, de la planche à voile, ou du jet ski, la croisière familiale, le motonautisme, la régate entre trois bouées ou la course au large…

Pour tous, les limites sont dictées d’abord par la mer et par les éléments. Elles sont fonction, bien sûr, du type et de l’état du navire utilisé, de l’armement et de l’équipement de celui-ci, mais aussi et surtout des aptitudes, compétences et motivations de l’équipage.

Et ce quel que soit le genre de navigation envisagé.

C’est bien là ce qui unit tous les marins dans la même grande famille, celle de ceux qui, à partir du moment où ils ont largué les amarres jusqu’à celui où ils ont achevé l’accostage à bon port, savent qu’ils ne pourront et ne devront attendre aucune aide extérieure. Bien sûr, les secours sont maintenant là tout proches, à portée de la main, accessibles par un simple appel en VHF ou par téléphone portable. Et il serait bien étonnant que des fusées de détresse ne soient pas rapidement remarquées dans nos eaux fréquentées.

Mais les marins dans l’âme, ceux qui sont jaloux de leur indépendance et de leur libre arbitre, ne compteront que sur eux-mêmes. Seul maître à bord après Dieu, qu’ils soient à la pêche, au commerce, simples plaisanciers ou coureurs de haut niveau, ils savent tous que c’est à cette condition qu’ils pourront continuer de naviguer selon leur propre loi, qui est celle de la mer.

C’est cette caractéristique qui les rapproche aussi d’autres êtres épris de liberté, comme les montagnards ou des marcheurs du désert.

C’est elle qui unit des mondes dont les motivations sont souvent apparemment bien différentes, et qui leur permet de se respecter et de s’apprécier.

 

 

 

42, 15 juin 2006, Bonnes manières

 

Les croisières nous amènent à partager notre espace vital avec d’autres navigateurs, tous embarqués avec la même passion dans la même galère.

En mer, il existe un respect mutuel entre les équipages. Ce respect, depuis la nuit des temps, se manifeste par le salut, maintenant le plus souvent informel, un signe de la main, un simple regard, qui montrent que nul n’est ici étranger à l’existence de l’autre. Ce salut peut prendre la forme d’un véritable cérémonial, avec amené et envoi du pavillon national, trois fois s’il vous plait, et réponse du navire salué. Un ex-pilotin me racontait que, chargé de cette manœuvre sur un petit caboteur, il saluait ainsi chaque navire croisé, mettant parfois les plus imposants dans l’embarras, et les obligeant à trouver rapidement un matelot pour répondre dans les formes, à la plus grande joie de l’équipage du chenapan. Rares sont les navires de plaisance qui arborent encore correctement le pavillon national, celui du propriétaire, le guidon du club, le pavillon de courtoisie lorsqu’il est nécessaire. Pire, on voit parfois des plaisanciers ficeler grossièrement une sorte de torchon aux vagues couleurs du pays visité, alors que la poupe reste désespérément vide de toute marque nationale…

Le salut est aussi un élément de sécurité : il incite à observer la mer, à effectuer une veille réelle, à s’assurer de la présence des autres navires, et, de fait, à constater leur bonne marche ou leur éventuel besoin d’assistance.

Au port, le voisinage et l’usage d’un espace et d’équipements communs imposent quelques règles évidentes de cohabitation : ne pas frapper son amarre par-dessus celle du prédécesseur, se mettre à couple délicatement, en douceur, après en avoir demandé l’autorisation, autoriser le nouveau venu à venir s’amarrer, et l’aider dans sa manœuvre, sans toutefois en prendre d’autorité la direction… Le passage sur le pont d’un bateau se fera sur l’avant du grand mat, ne serait-ce que pour faire preuve de discrétion, et il sera bien de ne pas faire griller des sardines au vent de son voisin. Ou alors, invitez le au dîner…

Nous savons que la mer est un révélateur des capacités humaines, en équipage, et qu’elle exacerbe les tensions et aussi les liens qui peuvent se créer entre les hommes.

Elle met en valeur les comportements vis à vis d’autrui, ce que nos grand’mères n’auraient pas manqué de noter dans leurs manuels des bonnes manières, qui auraient alors été agrémentés d’un chapitre spécial : l’étiquette navale.

 

 

 

43, 22 juin 2006, Bobologie

 

La réglementation le dit bien, il faut disposer, à bord d’un bateau, d’une trousse de pharmacie… Les textes indiquent même quelques-uns de ses composants obligatoires…, et vogue la galère…

La pharmacie de bord est bien souvent négligée, car, bien évidemment, nous sommes nombreux à penser que les accidents n’arrivent qu’aux autres… Elle est alors désespérément vide, et les quelques produits qui s’y battent en duel sont périmés, à moitié consommés, mal rebouchés… Parfois au contraire, elle est tellement fournie qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits, et qu’il faudrait être professeur agrégé de médecine générale, avec toutes les spécialités possibles en prime, pour penser pouvoir oser l’utiliser…

Indépendamment des règlements, une bonne pharmacie de bord, ce n’est pas une accumulation de produits plus ou moins connus, mais une liste de médicaments adaptés aux besoins effectifs du bord. Le mieux, c’est de la personnaliser et de l’élaborer avec son médecin de famille qui sait, mieux que personne, les particularités de ses patients.

Les incidents en bateau, qui relèvent pour la plupart de la bobologie, sont de plusieurs sortes : contusions, écorchures, blessures superficielles, brûlures et coups de soleil, ophtalmie, et sempiternel problème du mal de mer. Plus rarement, un choc important occasionnera des traumatismes sévères, avec entorses ou fractures.

Les produits indispensables de base sont simples : antalgiques, désinfectants, bandes, adhésifs et compresses, bon vieux système à endiguer les hématomes, souvent à base d’arnica qui sent bon, kit à brûlures, protections solaires, pommades et collyres, pour la peau comme pour les yeux, pilules ou potions magiques contre la naupathie et ses nausées…

La meilleure solution est d’établir, aidé par un homme de l’art, le récapitulatif des médicaments contenus dans la boîte, avec, en regard, leur utilisation. Une seconde liste regroupera utilement les principaux maux dont on pense pouvoir souffrir, et, en parallèle, les prescriptions correspondantes.

Comme pour tous les problèmes de sécurité, le savoir-faire et l’expérience ne pourront jamais être remplacés par du matériel, aussi performant soit-il.

La constitution intelligente de la pharmacie de bord vous apprendra à savoir vous en servir, pour vous et pour les autres, en espérant, finalement, qu’elle revienne intacte de votre prochaine croisière.

 

 

 

 

44, 29 juin 2006, SNSM

 

Il n’y a pas si longtemps, on les appelait les « HSB », Hospitaliers Sauveteurs Bretons… Tout un programme…

En 1967, cette noble association, fondée en 1873, s’allie avec une encore plus vieille dame, née en 1865, la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés. Ensemble, ces deux vénérables centenaires créent la SNSM, Société Nationale de Sauvetage en Mer. Aujourd’hui en pleine maturité, cette organisation forte de 232 stations est présente sur les côtes de France métropolitaine, mais aussi dans les DOM/TOM. Tout récemment, elle s’est implantée en Nouvelle Calédonie, à Nouméa, et aux Comores, à Mayotte.

Les lourdes baleinières à rames des débuts, lentes, difficiles à manier, ont, dès 1910, cédé la place à des canots à voiles avec moteur auxiliaire, puis à des embarcations « tous temps » dans les années 50. Les vedettes sont aujourd’hui insubmersibles, auto-redressables, et peuvent filer à près de 25 nœuds vers les lieux de leur intervention, y compris dans des conditions de mer très dures. De leur coté, les canots pneumatiques permettent d’assurer des transferts en mer dans des conditions optimales de rapidité et de sécurité.

Les équipes qui utilisent ces matériels, formées de bénévoles parfaitement entraînés, sont opérationnelles et interviennent moins de quinze minutes après l’alerte, de jour comme de nuit, dans des circonstances parfois extrêmes. Elles sont le premier maillon d’une chaîne de secours. Elles interviennent, évaluent l’état des personnes, donnent les premiers soins, demandent au besoin l’assistance des pompiers ou du SAMU.

Le sauvetage des personnes en mer est gratuit, quelles que soient les difficultés de l’intervention, les moyens mis en œuvre, le temps passé… C’est une tradition ancestrale, une règle internationale. En revanche, le sauvetage des biens donne lieu à une participation aux frais engagés par la SNSM, selon un barème qui a maintenant été fixé par son autorité de tutelle, le Ministère des transports. C’est ainsi qu’une intervention pour récupérer un véliplanchiste son petit matériel est évaluée forfaitairement à 90 €, et que l’utilisation des canots, en fonction de leur importance, peut coûter jusqu’à 400 € de l’heure. C’est beaucoup, mais c’est bien peu au regard des compétences de l’énergie, des moyens qui sont mis à la disposition de tous.

Alors, bien sûr, il faut espérer que vous n’aurez pas besoin de leurs services cet été, mais on ne sait jamais… Chapeau, la SNSM.

En clair, la SNSM ne vit que grâce à vos dons, elle a besoin de vous, comme vous pourriez avoir besoin d’elle.